mercredi 29 octobre 2014

Trois questions à... Louis-Dominique Lavigne

Trois questions à... est une série qui permet de découvrir, en trois questions, des spectacles d'artistes et d'artisans du théâtre et de la danse qui aiment leur métier et le pratique au quotidien.

Par Robert Boisclair


Guerre et paix

Louis-Dominique Lavigne est codirecteur artistique du Théâtre de Quartier et adaptateur du texte de Léon Tolstoï, Guerre et paix, qui est à l'origine du spectacle Guerre et paix que présente la Bordée du 28 octobre au 22 novembre. Les Enfants du paradis lui posent trois questions au sujet de cette production.

1) Les Enfants du paradis: Qu'est-ce qui vous passionne tant dans le roman de Tolstoï pour en faire une adaptation?

Louis-Dominique LavigneGuerre et paix n’est pas un roman comme les autres. Le récit que le roman raconte est non seulement captivant, mais il apporte une réflexion sur la condition humaine d’une rare actualité. Dans le roman, il y a une couche romanesque, une couche historique et une couche réflexive, voire didactique. C’est ce qui me plait et que je ne rencontre pas souvent dans la littérature.

Guerre et paix est le genre de roman à idées, réussi celui-ci, qu’annonce Kundera dans ses essais. Dans Guerre et Paix, il y a la guerre et la paix. Tolstoï dénonce la guerre et commence, dans ce roman, à élaborer ses thèses pacifistes qui vont se radicaliser à mesure qu’il va vieillir. Dans Guerre et Paix, ce n’est pas n’importe quelle guerre, dont on parle. C’est presque une guerre métaphorique. Il s’agit de cette fameuse campagne de Russie où les gagnants (les Français) perdent et où les perdants (les Russes) gagnent. Cette guerre est encore à l’échelle humaine. Avec chevaux, canons, baïonnettes, soldats.

Et puis à travers tout cela évoluent beaucoup de personnages d’une rare force. Ceux que je retiens sont les personnages-pivots de l’œuvre : Pierre, André et Natacha. Ils vivent dans ce contexte historique très dense, une histoire d’amour qui rappelle le conte de fées. La force presque naïve de ces personnages donne à cette guerre, d’une horreur indescriptible, une dimension grotesque presque ridicule. Tolstoï raconte tout cela en même temps tout en donnant un point de vue très personnel aux événements historiques qui se construisent à mesure. C’est un peu pour toutes ces raisons que j’ai voulu adapter bien modestement le roman de Tolstoï : afin de partager avec les spectateurs, ce plaisir de la réflexion vécue à travers une histoire d’amour.

2) Les Enfants du paradis: Adapter et écrire pour des marionnettes est-il plus difficile que pour des acteurs en chair et en os?

Louis-Dominique Lavigne: C’est peut-être plus difficile parce que je connais moins ça. En écrivant pour les marionnettes, je savais une chose. Quand on écrit pour la marionnette, c’est toujours la marionnette qui domine le texte. Je m’attendais déjà à ce que mon texte soit souvent ajusté aux contraintes de la scène. Quoique, nous avions prévu le coup, Antoine (Note des Enfants du paradis: Antoine Laprise est le metteur en scène du spectacle) et moi, le Théâtre de Quartier et le Sous-Marin Jaune. Nous avons prévu d’importantes périodes d’exploration et d’apprentissage dont j’ai beaucoup bénéficié. Avant l’écriture du spectacle, il y a eu trois importants labos. Antoine m’a beaucoup encadré. J’ai fait un nombre considérable de versions à partir de toutes sortes d’exercices de style qu’Antoine commentait à chaque fois. Si bien que ma dernière version convenait à l’équipe. Elle était très travaillée. Elle a été assez bien suivie par les acteurs. J’ai adoré la méthode de travail. Avant de commencer les répétitions, Antoine et moi, on était très préparé.

3) Les Enfants du paradis: Votre adaptation colle-t-elle de près à la trame originale de Tolstoï?

Louis-Dominique Lavigne: Le plus possible. Avec quand même une position personnelle de la part d’Antoine et moi dont nous avons beaucoup discuté.

Il s’agit d’un roman de 2000 pages. Que j’ai lu trois fois! Nous avons dû choisir. J’ai du coupé plusieurs personnages que nous aimions beaucoup. Ç’a été parfois frustrant de ce point de vue. Mais en même temps se dessinait une ligne claire que j’appréciais. Je ne voulais pas que le public soit perdu dans un trop grand nombre de personnages. Ici ce n’est pas un roman qu’on lit avec la possibilité de revenir afin de mieux suivre tel ou tel personnage. Dans un spectacle de théâtre, il faut que le spectateur puisse comprendre l’histoire tout de suite et l’évolution des personnages en même temps qu’il suit le spectacle.

J’ai essayé de garder ce qui nous apparaissait comme les scènes incontournables de l’œuvre. Avec notre point de vue sur l’œuvre et l’auteur. Ce qui est fascinant et ça, je ne m’y attendais pas, c’est que plus j’adaptais l’œuvre et plus j’admirais son auteur de toutes les façons. J’ai à peu près tout lu des œuvres de Tolstoï traduites en français, même son théâtre, excepté son journal que je lis tranquillement avec beaucoup de plaisir. C’est un document exceptionnel.

Je me suis amusé à retracer tous les écrivains qui ont écrit de près ou de loin sur Tolstoï, qui l’ont admiré. Il y en a beaucoup. Des Français, des Allemands, des Américains, des Britanniques… même des Québécois. Parmi nos écrivains les plus célèbres. Tolstoï a une vie fascinante. Il est un écrivain admiré par tant d’écrivains. Son engagement politique est exemplaire. D’une rare profondeur. Il aura été la conscience de son siècle.

À la fin de sa vie, il était une rock star idéologique planétaire écouté partout dans le monde. La nouvelle de sa mort fit l’effet d’une bombe. Le retentissement de cette mort d’écrivain est sans doute impossible de nos jours. Son engagement se radicalisait de plus en plus à mesure que l’écrivain vieillissait. Cet engagement a encore des résonances aujourd’hui. Du côté des pacifistes particulièrement. Nous avons cherché à rappeler un petit peu cette implication de Léon Tolstoï sur son temps à travers notre adaptation.

Apprenez en plus sur ce spectacle en consultant le site web de la Bordée ainsi que notre interview avec Antoine Laprise (vers la vingtième minute de l'émission du 20 octobre).

Bon théâtre et bonne danse !

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