samedi 30 avril 2016

L'orangeraie: des mots de guerre qui déchirent le coeur

Larry Tremblay, l'auteur, et Claude Poissant, le metteur en scène, frappent un grand coup avec L'orangeraie. Ils visent le coeur et laissent au spectateur le soin de départager les âmes pures des fourbes. Un virée qui chavire le coeur.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Gunther Gamper

À l'ombre des orangers tout aurait pu être calme, serein. En paix. Ce n'est pourtant pas le cas. La guerre fait rage. Pour quelles raisons? Nul ne s'en souvient vraiment. Ce que chacun sait, c'est qu'une bombe a tué les grands-parents des jumeaux Aziz et Amed. L'heure de la vengeance a donc sonné. Le père des jumeaux devra sacrifier un de ses fils. Lequel? Le choix est difficile. Et que sera la vie de celui qui sera épargné?

«Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus»
Louis Aragon

Sans parti pris
La pièce débute par une explosion, celle de la bombe qui tombe sur les grands-parents, et se termine par «L'entends-tu?». La boucle est bouclée. Ce pourrait être «L'entends-tu cette bombe?» Qu'elle soit destructrice en déchiquetant les gens en mille morceaux. Ou qu'elle détruise par des mots d'une violence inouïe. Car les mots y sont d'une très grande violence à certains moments. D'une très belle poésie aussi.

Cette dernière réplique pourrait tout aussi bien être un appel au public. Tout au long de la pièce, Larry Tremblay, ne prend pas parti. Il offre une virée au coeur de gens qui tentent de vivre, de solutionner, de faire des choix. Est-ce que ce sont les bons? Les mauvais? Bien difficile de le savoir au moment du choix. Cette finale est un appel au public. Entend-il les déchirements des protagonistes? Quel choix ferait-il? Avouons-le, on ne sait pas quels choix nous ferions si nous étions dans cette situation. Tremblay ouvre toute grande la porte à cette réflexion sans offrir de solution. Qu'une lueur d'espoir. Si faible soit-elle!

Le magnifique texte de Tremblay regorge d'une belle poésie. Les mots sont magnifiquement tournés. Le texte et la mise en scène ressemblent énormément aux tragédies grecques dans sa facture. Choeur, coryphée et prologue s'y côtoient. S'il manque un élément, c'est peut-être celui de l'émotion. Le texte est déclamée et l'émotion ne s'y glisse que rarement. Un merveilleux texte, mais un peu trop cérébral. C'est, peut-être, ce qui fait son charme. N'empêche que cette histoire chavire le coeur.

Voyager sans partir
La scénographie épurée permet au spectateur de voyager sans partir. Un mur en fond de scène, un immense drap jeté au sol, qui disparaîtra en cours de route, et quelques accessoires déplacés au gré des scènes, permettent de laisser libre cours à l'imagination du spectateur. Pays musulman ou salle de répétition de théâtre en Amérique, là ou l'action se déplacera en dernière partie, prend la forme que chaque spectateur veut bien lui donner.

Le voyage prend également la forme du voyage dans la tête du spectateur. Principalement avec la dernière partie alors que la mise en abyme théâtrale devient un véritable champ de bataille d'idées à débattre. Pas que ce soit totalement absent précédemment. Mais ici, nos à priori très occidentaux sont mis à rude épreuve.

Magnifique réflexion
Un très beau spectacle qui offre une magnifique réflexion, non pas sur la guerre, mais sur les décisions parfois douloureuses, parfois incompréhensibles, que les humains que nous sommes doivent parfois prendre. Une pièce essentielle pour qui veut mieux comprendre l'humain. Qu'il soit occidental ou oriental. Chapeau Tremblay! Chapeau Poissant! Chapeau à toute l'équipe!

Au Trident jusqu'au 21 mai. Avec Gabriel Cloutier-Tremblay, Éva Daigle, Philippe Durocher, Ariel Ifergan, Jean-Moïse Martin, Vincent Guillaume Otis, Daniel Parent, Jack Robitaille, Mani Soleymanlou et Sébastien Tessier. Un texte de Larry Tremblay. Une mise en scène de Claude Poissant.

Pour en savoir plus sur ce spectacle, consultez notre interview avec Jack Robitaille au tout début de l'émission du 25 avril en cliquant ici.

Bon théâtre et bonne danse !

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