samedi 16 septembre 2017

Five Kings: nuit noire

Le Trident invite les spectateurs à un voyage au coeur d'une nuit noire, celle de notre chute vers un abime qui n'était ni espéré, ni attendu. Une vision de la jeune génération théâtrale sur 50 ans de notre histoire contemporaine.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Claude Gagnon
Ils sont cinq, ils se succèdent, se détestent, s’aiment, se trahissent et sont du même sang. Ils proviennent du fond des âges et, pourtant, ils sont d’aujourd’hui. Ils passent leur vie à attendre d’être au sommet et sitôt la montagne gravie, leur chute s’amorce. Autour d’eux, leurs alliés et leurs conspirateurs. Au-dessus d’eux, les femmes, à la fois souveraines et victimes, broyées par les mâchoires de l’Histoire en marche, se défendant corps et âme pour ne pas que tout sombre. Five Kings, L'histoire de notre chute est une expérience théâtrale d’envergure, une immersion dans le grand mécanisme des joutes de pouvoir qui font notre monde. Une relecture des rois shakespeariens à travers le prisme des cinq dernières décennies de notre époque; depuis l’explosion des valeurs familiales des années 60 jusqu’à l’ascension actuelle de l’individualisme.

Nuit noire
Spectacle-fleuve, dans une version écourtée de 3h 30 inspiré du cycle des rois de Shakespeare, qui transpose l'action dans notre monde moderne. L'histoire, écrite par un Olivier Kemeid, se déploie de la fin des trente glorieuses, ces trente années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, où tous les rêves sont permis et semblent à portée de main, jusqu'à aujourd'hui, échec cuisant d'un monde idyllique qui n'existe pas et d'une société des loisirs qui ne s'est jamais matérialisé.

Cinq rois, cinq époques et cinq chapitres d'une nuit noire qui verra non seulement la chute de rois mais celle de notre société vers l'individu-média, sorte de temps des bouffons où rien ne ressemble à ce que les générations des années 45-75 avaient imaginé. D'où le sous-titre: L'histoire de notre chute.

Merveilleux travail d'écriture
Olivier Kemeid a fait un merveilleux travail d'écriture. Il n'a pas emprunté les mots de Shakespeare, il s'est inspiré de l'histoire, des liens filiaux, qu'il a d'ailleurs rebrassé quelque peu, de la soif de pouvoir et de la chute de ces rois pour en faire un texte à la sauce shakespearo-kemeid.

Toi qui es né déjà avec toutes tes dents afin de déchiqueter le Monde,
puisse ta rage t’embraser et te consumer au complet avant qu’elle ne se répande.
Harry Lancaster Jr.

Un texte inspiré à la fois par la rythmique et la sonorité shakespearienne mais également par la saveur, la rythmique et la sonorité de Kemeid et notre langue. Cela donne au final, un texte riche, puissant et adapté à chacune des époques. Des ruptures de ton qui ne sont pas désagréables du tout et qui collent à merveille à chaque époque imposant une vibration unique à chacune d'elle.

Vibration unique doublée d'une mise en scène qui magnifie l'ambiance de chacune des époques: le temps des pères (années 60), le temps des poètes (années 70), le temps des héros (années 90), le temps des barbares (années 2000) et le temps des bouffons (années 2010). L'éclairage est presque constamment celui d'une nuit d'un ciel obscur ou d'une nuit noire amplifiant cette chute inéluctable.

Si les thèmes de la filiation, de la famille et du passage d'une génération à l'autre sont bien présents, les enjeux politiques et sociaux sont ceux qui dominent. Il est bien difficile de ne pas y associer certains des dirigeants politiques, actuels ou passés. Bien des noms habiteront votre esprit tout au long du spectacle... Trump, Kennedy, Trudeau et bien d'autres qu'ils soient nord-américains ou européens.

Des comédiens qui se surpassent
Une distribution imposante, une fois n'est pas coutume, parmi laquelle certains comédiens se démarquent particulièrement. Étienne Pilon, magnifique Richard II, Jonathan Gagnon, fantastique Henri VI ainsi qu'une combinaison de rôles qui lui offre la possibilité de déployer son extraordinaire talent de tragédien, et Jack Robitaille, pour ne nommer que ceux-là, qui interprète un superbe Falstaff. Le reste de la distribution, outre le maillon faible qu'est Olivier Coyette, est également excellente.

La distribution féminine dans des rôles un peu plus obscur, mais si essentiel aux nombreux drames qui s'y jouent, sont d'une très grande justesse. D'excellentes comédiennes dans de beaux rôles de femmes pas trop confinés aux rôles de mère, de femme ou d'épouse.

Divertissant
Malgré ses airs sombres, la pièce Five Kings offre des instants d'humour. Ce spectacle-fleuve, qui comprend bien quelques longueurs, propose un bon moment de divertissement que l'on regarde de loin. L'image est belle mais l'émotion est absente. Le spectateur, même s'il est interpellé occasionnellement, est campé dans le rôle d'observateur neutre. Il y manque un petit je-ne-sais-quoi pour rendre l'expérience mémorable.

Allez-y si vous aimez: les spectacles-fleuve, les classiques remixés à la sauce contemporaine, les mises en scène de Frédéric Dubois, découvrir le regard d'une génération sur notre évolution sociétale, les distributions imposantes, voir des comédiens de Québec et Montréal sur une même scène.

Au Trident jusqu'au 7 octobre. Avec Alex Bergeron, Olivier Coyette, Jean-Michel Déry, Alex Desmarais, Patrice Dubois, Hugues Frenette, Jonathan Gagnon, Louise Laprade, Marie-Laurence Moreau, Étienne Pilon, Jack Robitaille, Isabelle Roy et Alexandrine Warren. Un texte d'Olivier Kemeid d'après Shakespeare. Une mise en scène de Frédéric Dubois.

Bon théâtre et bonne danse!

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