samedi 20 janvier 2018

Quand la pluie s'arrêtera: réjouissante saga familiale

Les malheurs sont-ils héréditaires? Nous sommes notre passé mais notre futur peut-il prendre une tournure différente? Y a-t-il un espoir que les choses changent? Que le cycle s'arrête? Quand la pluie s'arrêtera s'intéresse à cette question de remarquables façons. Retour sur un spectacle réjouissant.

Une critique de Robert Boisclair


Deux continents. Quatre générations d'absence.
2039, en plein désert australien, un poisson tombe du ciel aux pieds d’un homme. Il pleut depuis des jours et cet homme sent que quelque chose ne tourne pas rond. Quatre-vingt ans plus tôt, son grand-père Henri l’avait prédit: quand les poissons tomberont du ciel, ce sera la fin de notre monde tel qu’on le connaît. Une fin du monde annoncée alors que son fils l'a contacté après des décennies d'absence. Il veut le voir. Que veut-il? Comment affronter cette rencontre aussi inattendue qu'espérée.

Y'en a qui disent que c'est la fin...
La fin du monde, c'est pour ça que je voulais te voir.
Andrew Price, interprété par Maxime Robin

Entre ces deux évènements, il y a la quête de réponses d’un jeune homme parti sur les traces de son père disparu. Quand la pluie s’arrêtera est une fresque qui se déploie entre 1959 et 2039, mettant en scène quatre générations d’une même famille à l'histoire pas toujours très heureuse. Entre un modeste appartement londonien et le désert d'Australie se côtoient des abominations familiales, des mères déprimées, des fils en quête du père et des pères tourmentés.

Une histoire pleine d’humanité, un mélange unique de drame, d’humour et d’espoir qui pose la question: peut-on réellement s’affranchir de notre héritage?

Merveilleux ballet
La mise en scène est organisée comme un magnifique ballet. Les protagonistes, immense famille transgénérationnelle, se croisent en de courtes scènes. L'histoire de chaque génération se raconte alors qu'une autre la croise, l'espace d'un instant. Cela donne l'impression que les générations sont intimement liées, qu'elles se parlent, s'écoutent et tentent de se comprendre.

Le ballet se transporte également dans les mots et les répliques qui reviennent d'une génération à l'autre, d'une époque à l'autre. Que vient donc faire cette pluie de répliques répétitives dans cette histoire? La soupe au poisson, les inondations au Bengladesh, les murs d'un blanc cassé et le désordre perpétuel demeurent une énigme... jusqu'à la toute fin. Le dénouement, merveilleux moment, résout le mystère.


Une structure narrative qui fonctionne par petites touches, à la manière des gouttelettes d'eau qui, après une trop longue accumulation, deviennent un orage violent au moment de l'éclatement des nuages. Les gestes sont répétitifs, les répliques déjà entendues reprennent vie dans la bouche d'un nouveau protagoniste. Un ballet de gestes et de mots qui prend tout son sens en fin de spectacle.

Voler l'avenir
La grande question de cette pièce pourrait être: sommes-nous incapable de changer la résultante des gestes posés par les générations précédentes? Chaque geste posé prive-t-il les générations suivantes d'un avenir meilleur?

T'as pas volé une miche de pain. T'as volé l'avenir.
Élizabeth Law, interprétée par Véronique Côté

La question est vaste. Les réponses possibles, multiples. La pièce se termine sur une sublime note d'espoir. Reste à savoir ce que nous en ferons. Le choix est nôtre. Notre avenir en dépend. L'éclatement de la vérité en toute fin de spectacle donne une réponse. La réponse? Sans doute. Mais il faut voir la pièce pour la connaître. Et elle vous surprendra fort probablement.


Tout en finesse
La mise en scène de Frédéric Blanchette est empreinte d'une grande finesse. Dans le choix des acteurs, dans le choix de la scénographe et dans ses choix de mise en scène. L'approche minimaliste frappe juste. L'histoire complexe est habilement mise en images par des choix judicieux: téléscopages, entrées et sorties des comédiens, répétitions dans le mouvement et le geste.

Pendant un moment, j'ai eu l'impression que c'est l'avenir qui criait après moi.
Elizabeth Law, interprétée par Paule Savard

Pour ce drame qui se construit par à-coups et demi-vérités, il fallait une distribution de haut vol. Et c'est le cas. Quelle magnifique distribution! Ils sont tous excellents. Normand D'Amour, taillé sur mesure pour cette pièce, offre deux superbes scènes. On ne le voit que deux fois, mais quelles performances! Il lance le spectacle et le ferme dans une magnifique scène meublée de silences et d'appréhensions. Il faut entendre les silences entre lui et Maxime Robin. Un doux moment.


Les personnages d'une très grande tendresse et vulnérabilité sont superbement interprétés par Véronique Côté, Christian Michaud, Paule Savard, Alice Pascual, David Laurin, Maxime Robin, Marco Poulin et Linda Sorgini.

La scénographie minimaliste de Marie-Renée Bourget Harvey séduit. Une pluie de cordages, symbolisant l'orage qui s'abat et qui prendra un tout autre sens au moment du déliement de la pièce, occupe tout le fond de la scène. Le sol d'une dorure réfléchissante symbolise les erreurs et les gestes qui se répètent non seulement dans le temps mais à chaque moment. Un mur de maison brinquebalant fait d'un amalgame hétéroclite de fenêtres souligne splendidement la mutance transgénérationnelle.

Des réflexions plein la tête
Une pièce qui suscite des réflexions comme peu le font. Sur soi. Sur le passage d'une génération à l'autre. Sur les relations père-fils. Sur les choix de vie. Une pièce à voir, ne serait-ce que pour mieux comprendre le monde dans lequel on vit.

Allez-y surtout si vous aimez: les pièces tire-larmes, les structures narratives surprenantes, les distributions mixtes Québec-Montréal, les scénographies de Marie-Renée Bourget Harvey.

Au Trident jusqu'au 10 février. Avec Véronique Côté, Normand D'Amour, David Laurin, Christian Michaux, Alice Pascual, Marco Poulin, Maxime Robin, Paule Savard et Linda Sorgini. Un texte d'Andrew Bovell. Une traduction et une mise en scène de Frédéric Blanchette.

Vous voulez en savoir plus? Écoutez notre interview avec Frédéric Blanchette ici (vers la cinquantième minute de l'émission du 15 janvier).

Bon théâtre et bonne danse!

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