mercredi 14 mars 2018

Embrigadés: comprendre l'embrigadement

Sans être didactique, Embrigadés permet de mieux comprendre l'embrigadement dont sont victimes de trop nombreux jeunes occidentaux. Une intéressante déconstruction proposée par d'audacieux jeunes talents.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Cath Langlois
Trois chemins, un destin
Trois jeunes, trois chemins et un seul destin: celui de l'embrigadement. Nadia, Christophe et Marco sont retenus dans trois cellules voisines. Dans une langue crue et rythmée, ils détaillent les événements qui les ont menés jusque-là.

En partie inspiré de témoignages, le spectacle Embrigadés trace le portrait de trois jeunes qui côtoient l'extrême-droite, l'anarchisme et l'islamisme radical. Alors que leur monde ne semble promettre qu'une longue liste de compromis inacceptables, la violence s'offre comme la seule porte de sortie, le remède aux maux qui les affligent.

Une pièce qui s'intéresse à la mécanique d'un mal auquel succombe une partie de plus en plus importante de la jeunesse occidentale: celui de la radicalisation.

TOUS - J’ai rien fait de mal, c’était juste|
MARCO - Un esti de beau feu!
NADIA - Le soleil qui se lève.
MARCO - J’ai pris les moyens qu’il faut |
CHRISTOPHE - Pour la protéger |
MARCO - Pour nous protéger |
NADIA - Pour le retrouver. 

De seul à tous
Le spectacle Embrigadés démontre avec justesse le lent processus qui entraîne des jeunes pris d'un vague à l'âme dans un monde dans lequel ils ne se reconnaissent pas vers un paradis imaginaire où l'identité individuelle se confond avec celle du groupe. De seul et incompris, ils deviennent partie d'un tout plus grand qu'eux-mêmes. Ils ne sont plus seuls. Ils s'identifient enfin. Ils passent de seul à tous.

Crédit photo: Cath Langlois
La mécanique de la quête adolescente de l'absolu est bien démontrée par un trio de jeunes acteurs, également auteurs. La justesse du processus surprend. Le travail de recherche a été bien fait et s'exprime clairement, sans jugement dans cette production d'une heure vingt environ.

À la rencontre de jeunes embrigadés
La scénographie sobre, une scène en plan incliné avec une trappe en son centre et un écran en arrière-scène en constitue l'essentiel, laisse toute la place au texte. Choix judicieux qui permet de bien saisir l'évolution du processus de radicalisation et une véritable rencontre avec de jeunes embrigadés.

La performance du trio de jeunes auteurs et comédiens, si elle est quelque peu statique, mérite d'être souligné. Il y a bien quelques accrocs dans le texte, c'était soir de première, mais les performances sont dignes de mention. Les tics nerveux des comédiens, agaçants par moments, devraient s'effacer en cours de production.

Crédit photo: Cath Langlois
Les éclairages, magnifiques, contribuent au succès de la pièce. La mise en scène de Pascale Renaud-Hébert devra s'assurer que l'ensemble fasse un peu moins placé alors que le jeu ne semblait pas  tout à fait naturel. En corrigeant ce petit défaut, la rencontre avec ces jeunes pris dans une tourmente qui les fera chuter, n'en serait que plus poignante. Et la chute plus surprenante. La rencontre est tout de même très intéressante.

Le beau texte, écrit à six mains, propose une belle montée. Le déliement n'est pas celui attendu mais il manque d'un véritable punch qui riverait les spectateurs sur leur chaise. La puissance du texte réside dans son intérêt pour ce qui se passe dans la tête de ces jeunes. À ce qu'il y a derrière la radicalisation de surface. Une belle découverte de la transformation sous-jacente à cette métamorphose comportementale que les médias nous mettent sous le nez régulièrement sans toujours l'expliquer.

Crédit photo: Cath Langlois
Cette rencontre avec l'inexplicable est d'autant plus intéressante qu'elle est portée par des jeunes qui se questionnent et qui amènent cette réflexion sur scène sans porter de jugement. C'est la beauté de ce texte et de cette production.

Embrigadés nous rappelle qu'il ne suffit que d'un moment de vague à l'âme qui se prolonge un peu trop, pour que l'adolescent qui squatte notre divan sombre dans un faux paradis rempli de promesses idylliques. Et qu'on le perde à jamais!

Allez-y surtout si vous aimez: vivre par procuration, découvrir de jeunes talents, les textes de l'intime, les mises en scène épurées.

À Premier acte jusqu'au 31 mars. 
Avec Félix Delage-Laurin, Blanche Gionet-Lavigne et Vincent Massé-Gagné. Un texte de Félix Delage-Laurin, Blanche Gionet-Lavigne et Vincent Massé-Gagné. Une mise en scène de Pascale Renaud-Hébert.

Bon théâtre et bonne danse!

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