samedi 17 mars 2018

L'incroyable légèreté de Luc L.: voyage intérieur

Le voyage est au coeur du triptyque acadien proposé par Philippe Soldevila. Si le premier volet est celui de l'exil, voyage pas toujours désiré, le deuxième est celui du voyage désiré et recherché alors que ce dernier volet est un voyage résolument intérieur.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Louis-Philippe Chiasson
Synopsis (tiré du site web du Périscope)
Après Les trois exils de Christian E. (2011) et Le long voyage de Pierre-Guy B. (2015), les Théâtres Sortie de Secours et l’Escaouette nous reviennent avec le dernier volet de leur triptyque. Entièrement indépendant des deux autres spectacles, L’Incroyable légèreté de Luc L. y est toutefois intimement lié puisqu’il ramène sur scène Christian Essiambre et Pierre Guy Blanchard, cette fois accompagnés de leur ami Luc LeBlanc.

Trois gars du Nouveau-Brunswick nés à quelques kilomètres les uns des autres; mêmes écoles, mêmes arénas, même Université et même passage au Pays de la Sagouine. Trois gars élevés dans un environnement social rude; batailles, exploits dangereux, violence, alcool. Trois gars devenus artistes dans un contexte où la fragilité est une faiblesse, où la sensibilité est réprimée socialement. Comment ces trois gars se sont rendus jusqu’ici, comment sont-ils devenus ce qu’ils sont? Après plusieurs mois d’exploration et fidèle aux deux premiers volets, Philippe Soldevila dresse ici, encore une fois, le portrait d’êtres extrêmement attachants et bouleversants, avec humour, profondeur et humanité.

Séduction acadienne
Trois histoires, trois pièces, trois personnalités, trois rythmes, trois univers magnifiques. Cela résume assez bien ce polyptyque d'étoiles acadiennes. Avec L'incroyable légèreté de Luc L. Philippe Soldevila est sa joyeuse bande de drilles donne un souffle nouveau à cette superbe triade. La première plus théâtrale a été suivi d'un deuxième volet musicalement envoûtant. Ce dernier tableau tout en humour est également bien plus intériorisé. On en apprend beaucoup sur Luc L. tout en approfondissant la relation amicale qui unit ce trio exceptionnel.

Les histoires d'amitié masculine ne sont pas légions au théâtre. Particulièrement, lorsque les protagonistes décident de s'ouvrir comme ces trois comparses. Ils sortent ici de leur zone de confort respective et brisent, c'est surtout vrai pour Christian E. le plus connu des trois ici, l'image publique que l'on se fait d'eux. Ils deviennent le pourfendeur, Pierre Guy B., le conquérant, Christian E., et le fidèle, Luc L. Une association d'amis qui peut surprendre mais qui séduit.

Crédit photo: Louis-Philippe Chiasson
Pierre Guy B. ne sera peut-être pas d'accord avec moi, mais ce spectacle est une véritable séduction acadienne. À travers Luc L., fidèle à sa famille et à son Acadie natale, Pierre Guy B., installé dans son studio de Charlo, et Christian E., de retour au pays de son enfance, non seulement découvre-t-on le grand conteur et humoriste qu'est Luc L., mais on tombe en amour avec l'Acadie. Ils nous donnent envie de découvrir ce coin de pays francophone que l'on connaît et fréquente trop peu. C'est une véritable dose d'amour. J'aimerais que les Québécois aiment autant leur ville et leur province.

Voyage intérieur
L'incroyable légèreté de Luc L. propose un voyage à l'intérieur de l'humain. De Luc L. d'abord, introverti qui s'extériorise sur scène et qui cache ses peurs et ses émotions sous un épais verni d'humour. Un fidèle à sa famille et à son Acadie adorée, qui n'ose pas affirmer des ambitions qu'ils considèrent démesurées ou non méritées. À torts d'ailleurs. Mais aussi des deux autres comparses, torturés à leur manière. Incertains de leurs choix de vie et de carrière. Partagés entre leurs ambitions et leurs familles. Faisant des choix discutables. Comme moi. Comme vous.

Crédit photo: Louis-Philippe Chiasson
Au-delà de la grande qualité du spectacle, L'incroyable légèreté de Luc L. est une belle leçon de vie. Une forme d'assurance de normalité. Ils sont beaux et imparfaits en même temps. Et c'est ce qui fait que l'on se sent normal. Un humain normal. Et puis, c'est un beau portrait d'hommes.

Il faut souligner le courage que cela demande de s'exposer ainsi et enlever des couches de vernis. Ils n'ont pas tout dit bien sûr. Mais ils en ont dit beaucoup. Je ne sais pas si j'en serais capable. Eux, oui. Merci messieurs!

Enlevant
Oscillant entre l'humour, les prises de becs toutes masculines et les moments d'une grande intimité, le spectacle propose une structure narrative tout en ruptures. Un moment de discussion sur la présentation d'un spectacle, entrecoupé d'une interview de Luc L. par la télévision locale acadienne puis d'un repas entre amis, une structure qui donne un rythme enlevant au spectacle. On ne s'ennuie pas une seule seconde en compagnie de ce trio.

Luc L., qui accueille le public alors que ses deux comparses attendent sagement sur scène le début du spectacle, l'ouvre en animateur d'émission-débat (talk-show). Gérard, nom fictif d'un spectateur choisi au hasard, servira de gentil faire-valoir à Luc L. et contribuera à mettre la table à la douce folie qui suivra. L'ensemble des spectateurs devient alors véritable public de l'émission-débat et devient partie prenante de la belle découverte qui suivra. Il est alors bien difficile de ne pas être séduit. Le public devient pratiquement un quatrième ami. La magie s'installe dès les premiers instants.

Crédit photo: Louis-Philippe Chiasson
Comme pour les deux premiers volets, la mise en scène s'offre un espace scénique quasi-dénudée. Quelques micros ici et là, une zone musique pour Pierre Guy B. et quelques chaises meublent une scène étonnamment proche. Le spectacle du Périscope nomade s'offre au public à la Caserne Dalhousie dans une petite salle qui n'accepte qu'un nombre restreint de spectateurs. Le choix de l'emplacement fait que les comédiens se trouvent très près des spectateurs accentuant ainsi l'effet de proximité. Un choix judicieux pour ce spectacle de l'intime.

Alors que le triptyque débute avec l'histoire de Christian E., c'est lui qui conclut le troisième volet. La boucle de la triade est bouclée de superbe manière. En effet, c'est lui qui sonne la fin de la récréation d'une trilogie qu'il avait commencée seul. Un attendrissant moment en forme d'hommage à la Sagouine et à l'Acadie.

À découvrir
Un merveilleux voyage intérieur qu'il faut découvrir sans faute. Une incursion au coeur de l'amitié masculine, avec ses hauts et ses bas, qui frappe juste. Une belle façon de découvrir des artistes sans fard. Une aventure passionnante au coeur de l'humain version masculine.

Crédit photo: Louis-Philippe Chiasson
Allez-y surtout si vous aimez: les biographies de fiction, découvrir des hommes qui s'ouvrent, les deux premiers volets du triptyque acadien, les spectacles d'humour, les voyages intérieurs.

Au Périscope jusqu'au 31 mars. Avec Pierre Guy Blanchard, Christian Essiambre et Luc LeBlanc. Un texte et une idée originale de Philippe Soldevila, Christian Essiambre, Pierre Guy Blanchard et Luc LeBlanc. Une mise en scène et une direction de la création de Philippe Soldevila.

Bon théâtre et bonne danse!

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