samedi 28 avril 2018

La fille d'à côté + Duet for One Plus Digressions: remixer la danse

Un programme double où la danse se fait à la fois lente et vigoureuse, douce et ludique. De la danse qui part à la rencontre du public avec d'inattendues approches.

Une critique de Robert Boisclair

Synopsis (tiré du site web de La Rotonde)
Duet for One Plus Digressions, chorégraphie d’Andrew Turner, souffre d’emblée d’un manque vital : l’un des deux danseurs qui la composent! L’interprète brise alors le quatrième mur et demande la coopération du spectateur qui doit visualiser la partition de l’absente. Le processus créatif est révélé et le matériel dansé, qui s’incarne dans une gestuelle vive et puissante, sert d’ancrage à la pièce. Le moment performatif, celui qui marque la transformation du spectacle durant sa réception par le public, constitue l’inspiration première du chorégraphe qui aime explorer avec un humour la fabrique d’une oeuvre, sous toutes ses coutures!

L’humain est un être naturellement intrigant. La fascination qu’il suscite dépend de lui, mais aussi de celui qui le regarde. La fille d’à côté de Josiane Bernier est un duo qui met en lumière ce qui attire l’œil. Ici, il s’agira de ne rien provoquer, d’attendre avec humilité que quelque chose se passe, d’accéder à l’endroit le plus profond et intime de nous-mêmes et d’y plonger tête première en jouissant du vertige qui nous envahit… Fresque dansée contemporaine où tous les éléments du moment présent sont des moteurs essentiels à la rencontre. Parce que chaque détail peut changer le cours d’une situation…

Vigoureuse chorégraphie
Andrew Turner propose une chorégraphie dynamique et vigoureuse où le quatrième mur disparaît complètement. L'idée de départ un duo sans partenaire, d'où la première partie du titre, s'avère lumineuse. Elle permet un agréable jeu avec le public où Turner s'oblige à expliquer le duo qu'il interprètera seul.

Crédit photo: Ollie Smith
Les digressions, d'où la dernière partie du titre, sont nombreuses et résolument humoristiques. Le danseur chorégraphe développe une relation intime avec le spectateur. Des moments de grâce entrecoupés de cet improbable duo. Le spectateur doit l'imaginer puisque la danseuse n'est pas là. L'oeuvre s'offre alors à lui dans une modalité inattendue. Il découvre les possibilités de la performance.

Si la prestation semble d'abord improvisé, il devient rapidement évident que même les moments les plus spontanés sont chorégraphiés. Cela permet au danseur, ou est-ce un acteur tellement la représentation s'apparente au théâtre, de jouer avec le public et de découvrir ses attentes. Le spectateur est conquis. Il en veut plus. Il en redemande même. La chorégraphie devient presque accessoire. Un outil parmi d'autres pour faire cette exploration.

Ode à la lenteur
Bernier amène la danse dans un tout autre registre. Ici, la présence et la lenteur sont à l'honneur. Deux femmes, chacune étant la femme d'à côté de l'autre, se déplacent lentement, font des pauses. La danse est ramenée à sa plus simple expression.

Crédit photo: Émilie Dumais
Il n'y a pas de relation précise entre ces deux femmes. Elles sont tout simplement là. Elle partage l'espace. Sur scène et avec le public. C'est presque de la non-danse. La musique est absente, phénomène rarissime en danse. Le geste est lent, décortiqué. Le public regarde, observe, se questionne.

La fille d'à côté est un spectacle qui ne s'adresse pas à tous les publics. C'est une exploration intime, voire intimiste de la danse. Une aventure au coeur du corps. Dans sa plus simple expression.

Remixer la danse 
Turner et Bernier chacun à leur manière remixent la danse. La décortique. En explore les méandres. La questionne. La transforme. Si Turner lui donne des airs bohème et bon enfant, Bernier la sonde dans ses plus intimes mouvements, dans sa lenteur et la présence toute simple de deux corps qui se rencontrent. La danse de Turner est théâtrale, celle de Bernier performative.

Leurs approches tout en étant différentes partagent la rencontre avec le public. Celle de Bernier peut en laisser certains dubitatifs. Celle de Turner est plus conviviale et ludique. Mais la rencontre avec le public est le maître-mot. Et c'est ce qui fait le charme de ce programme double.

Allez-y surtout si vous aimez: les programmes doubles dansés, être surpris et déstabilisé, les formules courtes, les spectacles où la scène et la salle ne font qu'un, les représentations événements.

À La Rotonde jusqu'au 3 mai. Avec Andrew Turner, Milan Gervais, Josiane Bernier et Catherine Tardif. Des chorégraphies d'Andrew Turner et Josiane Bernier.

Vous voulez en savoir plus sur le spectacle? Écoutez notre interview avec Andrew Turner et Josiane Bernier ici (vers la vingtième minute de l'émission du 23 avril).

Bon théâtre et bonne danse!

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