dimanche 22 avril 2018

Tomates: faire du mystère avec de l'ordinaire

Ces mots sont ceux de Simon Drouin (Le Soleil, 2014) et ils résument assez bien ce spectacle complètement atypique et quelque peu déstabilisant: l'ordinaire qui convie le spectateur dans un monde à la fois mystérieux et si près de nous.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Charles-Frédérick Ouellet
Synopsis (tiré du site web du Périscope)
La prémisse du spectacle: sept personnes se retranchent du monde. Elles marquent la frontière de leur nouveau territoire à l'aide d'une corde. Piégés avec elles, des éléments s'entrechoquent : un essai insurrectionnel du Comité invisible, les règlements du jeu de Go, des tomates, un clavecin, des objets jaunes, une caméra... et l'épopée du Prince André, héros du conte traditionnel Le sabre de lumière et de vertu de sagesse.

L'histoire se déploie et s'enroule sur elle-même, dans une densité critique et un comique vertigineux. Elle explore les notions de crise, d'anonymat, de pouvoir et d'enfermement, pour donner vie à un opéra épique indiscipliné, où le premier acte en viendra à capturer le deuxième.

Dans un fatras d’objets, de chants révolutionnaires et d’images vidéo captées en direct, TOMATES s’amuse à démonter la mécanique de la représentation théâtrale et à semer le trouble (dans l’esprit des spectateurs).

Nous sommes entrés dans la civilisation de la tomate, 
la marchandise la plus accessible de l’ère capitaliste.
Tous les êtres humains mangent de la tomate dans tous les pays du monde
à raison de 5 kg par an et par personne.

Elle représente un marché de 10 milliards de dollars,
mais aussi un marché globalisé qui en dit beaucoup sur l’économie néolibérale
et sur cette idéologie qui en dicte les règles.
La tomate est devenue « une caricature des excès du capitalisme ».

Crédit photo: Charles-Frédérick Ouellet
Faire du mystère avec de l'ordinaire
L'espace est délimité avec des cordes. Les protagonistes s'offrent aux spectateurs dans un capharnaüm d'objets du quotidien, pour la plupart. Ce spectacle en deux actes, dont le deuxième est tourné alors que le premier acte se déroule, est parsemé de belles surprises mais déstabilise beaucoup.

Sous une apparente anarchie, l'histoire se construit par petits bouts. Si la mécanique est bien huilée, le lien entre cette histoire d'un prince parti à la recherche du sabre de lumière et de vertu de sagesse et les notions de crise, d'anonymat, de pouvoir ou encore d'enfermement n'est pas toujours évident.

Cependant ce lien qui ne se crée pas naturellement, dérange. Il est bien difficile alors d'embarquer dans l'histoire. Le mystère est complet. Il prend la forme d'objets familiers: gants, balles de plastiques, couvertures, caméra, instruments de musique,... Faire du mystère avec de l'ordinaire, c'est bien de cela qu'il s'agit. Mais on cherche et ne trouve pas. La solution pour apprécier ce spectacle performatif est, sans doute, de se laisser porter par l'ambiance, l'émotion. Le mystère pourrait ainsi s'éclaircir ou s'imprégner dans notre esprit.

Crédit photo: Charles-Frédérick Ouellet
Audacieuse proposition
La proposition est audacieuse avec un mélange pamphléto-musical qui nous sort de notre zone de confort: mélange atypique, histoire qui s'enroule sur elle-même, construction et déconstruction,... Tout ça combiné au style indéfinissable qui caractérise les performances de L'orchestre d'hommes-orchestre. Le mélange pluridisciplinaire auquel ils nous ont habitué est bien présent. Ce projet est dans la droite ligne de ce que le groupe propose habituellement.

Un écran géant en arrière scène magnifie les petits moments invisibles pour le spectateur qu'une caméra en direct offre par-ci par-là. La musique, comme toujours, occupe une place de choix. Le clavecin module l'action. Une partie des textes est chantée amenant le spectacle sur le terrain de l'opéra. Un savant mélange qui fait le succès des spectacles de ce groupe d'artistes.

Crédit photo: Llamaryon
Pour sortir de sa zone de confort
Avec son approche atypique, Tomates propose une quête qui surprend. Si la formule s'adresse à un public averti, elle est néanmoins intéressante pour le néophyte. Sous l'apparente anarchie se cache une critique de notre société actuelle. Si cette critique n'est pas évidente à saisir, le spectacle ne mérite pas moins d'être vu. Possiblement plus d'une fois. Pour bien en capter tout le sens.

Allez-y surtout si vous aimez: être déstabilisé, L'orchestre d'hommes-orchestres, les propositions atypiques, le multidisciplinaire.

À La Caserne Dalhousie dans le cadre de la saison du Périscope nomade jusqu'au 29 avril. Avec Bruno Bouchard, Lysiane Boulva, Gabrielle Bouthillier, Simon Drouin, Simon Elmaleh, Benoit Fortier et Danya Ortmann.

Bon théâtre et bonne danse!

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