vendredi 1 juin 2018

Hamlet Director's Cut: remixer sa vie

Une ambiance fantomatique et des pensées qui prennent vie grâce à des personnages de synthèse, font de cet Hamlet Director's Cut une oeuvre qui sort de l'ordinaire. Un spectacle audacieux qui revisite une des oeuvres cultes du théâtre de magistrale manière.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Benoit Beaupré
Synopsis (tiré du site du Carrefour international de théâtre de Québec)
Dans cette adaptation très libre de la pièce, Hamlet, seul en scène, épouse un point de vue subjectif  ur son propre récit et en devient le narrateur, le metteur en scène et le réalisateur.

Comme dans la pièce originale, ne pouvant accepter que son oncle ait tué son père et séduit sa mère, il use de l’art pour révéler la vérité. Ici, il interprète tous les rôles, tentant inlassablement de s’expliquer l’insupportable catastrophe familiale. Assailli par le doute, talonné par la folie, il joue et rejoue autrement le déroulement de la tragédie, cherchant à la rendre plausible, à l’éclairer d’une lumière nouvelle, à y trouver un sens. Hamlet, ténébreux et mélancolique, dévoile peu à peu sa version, son montage, sa vision de l’histoire.

Dans une performance d’acteur exceptionnelle, Marc Beaupré marie prodigieusement un monologue colossal à une gestuelle méticuleuse, à mi-chemin entre les arts martiaux et la pantomime. Sur un tulle translucide séparant la scène de l’assistance, des silhouettes mouvantes se dessinent, s’animent, se répètent en boucle, s’entremêlant les unes aux autres.

Ces spectres, ces apparitions, ces dualités intérieures hantent le personnage qui dialogue avec eux. Entre Hamlet, ses doubles et ses doutes, naît une danse belle et troublante qui met en exergue son immense désarroi, sa névrose, son insondable solitude.

Un Hamlet radical
L'histoire épurée, elle fait à peine une heure alors que l'intégrale en fait cinq, rebrasse les pensées d'un Hamlet en quête de lui-même, tentant de chasser le doute par tous les moyens possibles. Cet Hamlet est une transposition mi-virtuelle, mi-réelle où le protagoniste entre en dialogue avec lui-même. Mettant en scène sa propre histoire. La brassant, la remixant jusqu'à ce qu'il en comprenne le sens tout en s'engageant dans un corps-à-corps avec des personnages virtuels.

Hamlet Director's Cut est un spectacle audacieux. C'est un Hamlet en capture de mouvements. L'ambiance est fantomatique. Les pensées d'Hamlet prennent vie devant les yeux des spectateurs en temps réel.

Plusieurs scènes ne seront pas jouées par des personnages mais racontées par Hamlet.
Le personnage tente d'englober la pièce à lui tout seul.
Nous avons adapté le texte mais nous ne l'avons pas modifié.
Marc Beaupré dans une interview à Jeu

Le spectacle est téméraire dans sa structure. Dans ce Shakespeare revampé, le spectateur est déjoué. Il n'est plus dans sa zone de confort habituelle du théâtre de répertoire. Le classique est transformé. Il est transposé dans un théâtre d'avant-garde. À mi-chemin entre la déconstruction théâtrale et le nouveau théâtre. Bref, un classique qui ne se prend pas au sérieux et qui s'aventure en terres inconnues.

Crédit photo: Benoit Beaupré
Remixer sa vie
C'est ce que fait Hamlet dans cette production où, seul en scène, il revit les moments de sa propre histoire. Il la met en scène pour chasser le doute. La comprendre. En saisir le sens. Hamlet Director's Cut, c'est la quête qui obsède certains d'entre nous: donner un sens aux événements qui transforment notre vie, modulent notre avenir.

Comme le réalisateur qui choisit ce qu'il visionne, regarde, rejette, conserve, Hamlet sélectionne les morceaux de son histoire qu'il veut revivre. Il interprète les personnages, leur donne vie. Virtuellement.

Hamlet met en scène les personnages pour les questionner. Ainsi présentée, sa folie est encore plus patente. Plus présente. Elle transpire le doute donnant une nouvelle perspective à l'oeuvre de Shakespeare.

Dans la tête d'Hamlet
La rêverie et le songe, présents dans l'oeuvre shakespearienne, prennent forme ici par l'image. Les fantômes qui hantent les pensées d'Hamlet prennent vie. Il se pointent sur un écran. Ils sortent de la tête d'Hamlet pour s'incarner l'espace d'un moment. Le spectateur a l'impression de se retrouver dans sa tête. Découvrant son irréalité, ses errances, ses délires.

La technique de la capture d'écran, si elle permet de transposer en image les nombreuses spéculations qui habitent l'esprit d'Hamlet, détourne quelque peu du propos et, surtout, de la performance d'acteur qu'offre Marc Beaupré. Au coeur d'une scène vide, il incarne un Hamlet inspiré. Un être à la fois torturé, en quête de lui-même, intériorisé, totalement détaché et incarné lorsqu'il interprète d'autres personnages. Cet homme seul sur scène, interprétant moult personnages qu'il définit clairement par une intonation, un geste ou une modulation de la voix, réussit le pari de nous traduire de façon simple une saga complexe. Marc Beaupré habite les fantômes qui hantent Hamlet. Une sublime performance qui, parfois, disparaît derrière des images de synthèse trop présentes.

Crédit photo: Benoit Beaupré
Allez-y surtout si vous aimez: le théâtre d'avant-garde, découvrir Shakespeare revisité, Marc Beaupré, les performances d'acteur.

À La Bordée dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec jusqu'au 3 juin. Un texte de William Shakespeare dans une traduction de Jean Marc Dalpé. Avec Marc Beaupré. Une dramaturgie et une assistance à la mise en scène de Nicolas Guillemette.

Bon théâtre et bonne danse!

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