mardi 5 juin 2018

Non Finito... ou finito?

Claudine Robillard a vaincu ses démons de l'inachèvement avec ce Non Finito qu'elle mène à terme pour notre plus grand plaisir. Une belle incursion dans l'univers de l'inachèvement et une façon de nous confronter à nos propres projets inachevés.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Jonathan Lorange
Synopsis (tiré du site du Carrefour international de théâtre de Québec)
Qui n’accumule pas dans ses carnets, dans ses cartons et dans sa tête une multitude d’idées, d’esquisses et d’intentions attrayantes pourtant abandonnées dans leur essor? Collection de projets laissés en jachère mêlant le théâtre au réel, l’autobiographique à la fiction, Non Finito parle de tous les rêves jamais réalisés qui continuent de nous hanter. Comment peut-on se délivrer de leur poids alors qu’ils encombrent nos esprits et nourrissent en nous une sournoise culpabilité?

Entourée de son équipe d’artistes, professionnels ou non, Claudine Robillard se commet et passe aux aveux. Armée d’une attachante sincérité et de beaucoup d’autodérision, elle détaille d’abord la liste des désirs inassouvis qu’elle emmagasine depuis son enfance. Puis, elle déploie toutes sortes de stratégies visant à vaincre sa propension à butiner d’une entreprise à l’autre sans les mener à terme.

Dans un espace scénique en perpétuelle transformation, allégorie de son cheminement, elle en découd avec ses obstacles intérieurs et avec la démesure paralysante de ses ambitions. Mais si la valeur des idées résidait finalement plus dans les chemins qu’elles labourent que dans leur aboutissement.

Dans une société qui valorise la productivité à outrance et où le résultat final est l’ultime symbole de la réussite, Non Finito évoque les chimères de l’accomplissement et célèbre la beauté de l’inachèvement. Au service de la vie, de ses ratés et de ses possibles, le spectacle résonne en chacun de nous et devient une sorte de rituel de libération collectif qui s’avère joyeusement salutaire.

En toute simplicité
Les spectateurs sont entassés sur une estrade sise dans une petite salle noire. Claudine Robillard, la comédienne principale et maîtresse de cérémonie de cette soirée, passe en revue les espoirs enfouis dans les projets qui ont meublé sa vie depuis son enfance. Jusqu'à son tout dernier. Toujours pas abouti.

Ouverture sur un espace vitré où un comédien répète inlassablement les mêmes extraits de son projet en cours. N'en pouvant plus, il quitte le spectacle. C'est alors que Claudine Robillard décide de regarder le projet d'un autre angle. Nouvelle ouverture, cette fois sur une estrade bien plus grande où les spectateurs sont invités à se déplacer. La perspective du spectateur change. Celle de la maîtresse de cérémonie également.

Des non comédiens se joignent alors à elle pour nous raconter quelques-unes de leurs espérances. Le dialogue s'ouvre entre Claudine Robillard et les nouveaux interprètes ainsi qu'avec le public. L'identification de celui-ci avec les protagonistes est alors très forte. Mais que devient l'ambition, le rêve? Et si les comparses de Claudine Robillard pouvaient les vivre autrement. Aussi vite dit, aussi vite fait.

Tout se fait dans la simplicité. Avec des bouts de rubans pour construire la maison de l'un, que l'autre tentera de vendre. Le public n'est pas en reste puisqu'un spectateur choisi au hasard servira de guide à un autre protagoniste qui n'a jamais eu la chance d'avoir un mentor masculin. C'est d'ailleurs à ce moment que la pièce prend tout son sens. Et que l'émotion est au rendez-vous. Avant, c'est sympathique mais on ne sait trop où tout cela va aboutir.

Crédit photo: Jonathan Lorange
La Caserne des rêves réalisés
Ce Non Finito se transforme en finito. En projets qui, enfin!, prennent forme. Les interprètes, chacun à leur manière, s'offriront une version, édulcorée certes, de leur plus grands rêves. La Caserne sera leur caverne d'Ali Baba. C'est aussi un peu la nôtre. L'occasion de faire la paix avec soi et des rêves non réalisés. Ces petits et grands espoirs de renommée ou de moments d'intense bonheur qui ne se sont jamais matérialisés. Ces rencontres manquées sont d'un incroyable enseignement. Et permettent, surtout, d'apprécier encore plus ceux que l'on a connu ou que l'on connaîtra.

Non Finito permet à l'intime de rencontrer le collectif. Des confidences de cette bande d'acteurs et de non acteurs jaillit une rencontre avec le spectateur qui, l'espace d'un instant, se questionne. Fouille dans sa propre histoire mais, surtout, est interpellé par les aveux des interlocuteurs.

Crédit photo: Jonathan Lorange
Allez-y surtout si vous aimez: les confidences sincères, l'émotion pure, les réflexions sur l'inachèvement, l'utilisation simple et efficace de l'espace scénique, découvrir quelque chose de neuf, de différent.

À la Caserne Dalhousie dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec jusqu'au 7 juin. Avec Evangelos Desborough, Abolfazl Habibi, Niloufar Khalooesmaeili, Jonathan Morier, Claudine Robillard et Richard Touchette. Une mise en scène d'Anne-Marie Guilmaine.

Bon théâtre et bonne danse!

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