mardi 27 novembre 2018

M.I.L.F.: histoires de mères

Trois mères et leur rapport à la sexualité amènent le spectateur dans un univers loin, très loin, des contes fées. L'ambiance est sombre et glauque. Le cri est de rage et le regard acide.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Crédit photo: Marianne Duval
Synopsis (tiré du site web du théâtre)
M.I.L.F. aborde avec audace le tabou entourant la relation entre la maternité et la sexualité. Au centre de cet acronyme provocant du monde de la pornographie, Mothers I’d Like to Fuck, l’auteure Marjolaine Beauchamp en fait ressortir le I, ce je qui observe, ce je qui désire et ce je qui souffre. Une création avant-gardiste qui confronte l’objectification de la condition de mère.

Trois femmes, trois mères, trois sexualités. Dans un texte poétique, acide et engagé, la pièce exprime le cri paradoxal du plaisir et de la blessure, de l’orgasme et de la naissance. Dans un univers esthétique guidé par le voyeurisme de la pornographie sur Internet, ces femmes sont mises à nu et affirment librement leurs vérités. Sans fil narratif, le public observe ces protagonistes dans leurs évolutions, leurs échecs, leurs réussites et leurs actes d’émancipation.

Qu’est qu’y’a...?
Pourquoi tu parles pas?
T’es déçu?
Dis lé
Chu pas cadrée comme ma photo
En plus j’viens avec des jambes pis un gros cul
Tu pensais tu que j’étais cadrée mi-corps dans vie? 
J’tai tu donné rendez au gym?
Non, han, au restaurant
Ça t’es pas venu dans tête que j’mangeais?
QUE J'AVAIS UN CORPS ?
Tsé sans ça j’t’aurais proposé d’aller manger des nutrigrains
sur le top d’une montagne 
Tu penses tu que je l’sais pas que t’as texté ta chum
pour qu’a te sauve de ta date
J’les connais les crisses de codes, t’a l’droit,
c’est correct han, on est libre 
Tu me trouvais smatte quand on discutais sur Tinder
Quessé qu’y change? 
J'ai deux kids, c'est ça qui m'a passé su'l corps,
mais on met pas ça tu suite dans une description de site de rencontre han?
Tu m'trouves tu malhonnête?
Moi j'te trouve malhonnête parce que tu dis dans ton esti de profil
que le corps d'une femme c'est un temple. Un temple de quoi han?
Si té pas capable de tuffer qu'un temple y'a du monde
en esti qui rentre dedans, du monde,
des bébés pis des fuckall comme toi
qui s'attendent à voir des femmes intactes.
Chu pas intacte, crisse d'homme moderne à marde,
j'aurais dû le savoir astie.
J'aurais pas dû penser que j'avais accès à ça. 
Prend ton esti de sac de fille pis décâlisse,
va fourrer des nymphettes avec un trouble alimentaire,
m'a aller me pogner des chauffeurs de grues
avec un fétiche de fuckée.
Tout le monde à sa place han?
Extrait de la courte scène Blind Date, tirée de M.I.L.F.

Esthétisme concupiscent
L'esthétisme de la pièce s'inspire de la pornographie. Si son aura s'immisce dès le début, M.I.L.F. s'ouvre avec une courte scène de nudité intégrale, elle n'est présente par la suite que pas son esthétisme. L'espace scénique baigne dans une pénombre, l'éclairage s'inspire de celui des films pornos, la scène est presque nue, les mots sont crus et les allusions fréquentes.

Le titre, aussi choquant soit-il, n'est qu'un prétexte à une discussion ouverte sur la sexualité des mères. Elles sont trois et en discutent abondamment. Le regard est parfois acide sur une sexualité tantôt débridée, tantôt rêvée. Les langues se délient dans de courtes scènes de la vie quotidienne de mères qui se cherchent et qui tentent de se définir.


Pour le jeune public
M.I.L.F. est un spectacle qui risque de plaire à un plus jeune public. D'abord le texte, poétique mais rude, ne plaira pas à tous. Ensuite l'environnement sonore en mode techno peut être agressant à certains moments. Quant à elles, les nombreuses coupures, entre chaque courte scène on modifie le décor et les accessoires, ralentissent passablement le tempo.

Le jeune public trouvera certainement son compte avec ce style de divertissement. Les autres y chercheront probablement quelques repères. Heureusement, la poésie récupère le public des autres générations qui découvre la mère sous un nouveau jour.   
 
Beauchamp la poétesse
Marjolaine Beauchamp manie adroitement la poésie. Son joual combine merveilleusement le langage cru et une tendresse poétique. Le verbe coule superbement. Cette langue est un plaisir à écouter même si, parfois, le contenu écorche quelque peu les âmes sensibles. Ces trois femmes n'ont pas la langue dans leur poche. Et dire que ce texte est inspiré de témoignages de nombreuses femmes que Marjolaine Beauchamp a rencontrées.

L'une des forces de cette pièce est de faire découvrir, ce l'était pour moi en tout cas, les pensées profondes de ces femmes que nous côtoyons et que nous connaissons si peu. Le discours est franc et il peut en écorcher certains. L'image dépeinte des hommes n'étant pas toujours la plus belle.

Si le texte porte, il ne fait pas tellement dans l'émotion. Ou peut-être si. Dans la rage. Le défoulement. On y découvre des femmes combatives, sexuées mais poquées. Choquées. En quête d'une identité. La femme qu'on aime ou qu'on aimerait aimé est bien absente. Une chose est certaine les images de la femme et de la mère s'en trouvent transformées. Elle est sexuée sans être nécessairement sexuelle. Elle est bien loin de l'imaginaire de la M.I.L.F. version masculine. Elle prend une autre forme. Plus complexe. Plus multiple. Trois femmes, trois mères, trois sexualités, trois M.I.L.F. bien différentes.

Crédit photo: Marianne Duval
Allez-y surtout si vous aimez: l'introspection, la musique techno, le langage cru et direct, l'autonomisation sexuelle.

Au Périscope jusqu'au 1er décembre. Avec Marjolaine Beauchamp, Geneviève Dufour et Stéphanie-Kym Tougas. Un texte de Marjolaine Beauchamp. Une mise en scène de Pierre Antoine Lafon Simard. 
 
Vous voulez en savoir plus sur le spectacle? Écoutez notre interview avec Marjolaine Beauchamp ici (vers la quarantième minute de l'émission du 19 novembre).

Bon théâtre et bonne danse!  
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