jeudi 29 novembre 2018

Solo 70: la trace du temps

Solo 70, c'est le dernier tour de piste dansé de Paul-André Fortier. Un faux solo en forme de clash des générations et d'ode au corps vieillissant.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Crédit photo: Sandrick Mathurin
Synopsis (tiré du site web du théâtre)
Parce que le monde change. Et pour répondre, il faut parler, bouger, chanter, se débattre, suer. Danser, évidemment. Encore danser. Toujours déjà. Comme si c’était la première fois. Comme si c’était la dernière fois.

40 ans de carrière plus tard, Paul-André Fortier s’offre, pour ses 70 ans, un faux solo. Entouré de talentueux collaborateurs (Étienne Lepage, Étienne Pilon, Jackie Gallant, Marc Séguin), Fortier propose une sérieuse leçon d’audace.

Dans un carré délimité, l’interprète parcourt - presque en glissant - la surface blanche contrastée de son corps vêtu de noir, traçant des lignes de force. Dans une esthétique formelle où la sobriété règne, comédien et musicienne se livrent à une mise en danger ludique. Le septuagénaire accepte volontiers l’inconfortable posture. Danse. Persiste. Ni adieu ni rétrospective, Solo 70 s’impose comme une synthèse de son travail par autant de révolutions que de minutie. C’est un corps souverain, élevé, que Fortier donne à voir.

Voici un homme qui a dansé, et qui danse toujours.
Un corps qui a vécu et qui persiste, une esthétique formelle,
une aura presque mythologique,
une expérience qu’on ne saurait lui enlever sans lui arracher la peau.
Étienne Lepage au sujet de Paul-André Fortier, extrait tiré de Danse-Gros plan

Solitaire mais pas totalement
Dans un carré blanc bien délimité, le danseur parcourt minutieusement l'espace. Le pas est méthodique. Glissant et clapotant à quelques occasions. Traçant des motifs dans son carré. C'est le silence sur scène et dans la salle. Musicienne et comédien en retrait se taisent. Les épaules du danseur, toujours solitaire dans son carré, s'agitent. Gracieuses. Comédien et musicienne entrent dans la danse. Lui en slammant. Elle en interprétant un rock de plus en plus puissant. Le danseur solitaire n'est plus seul. Le solo n'est plus un solo mais un trio. En forme de clash des générations. Le pas du danseur est doux, le slam du comédien est vif, le rock de la musicienne est vigoureux et musclé.

Crédit photo: Xavier Curnillon
Contraste d'univers. Clash de générations. Surtout une forme d'ode au corps. Ce corps vieillissant aux gestes bien sages, calculés, mesurés, s'opposent à des corps qui ne demandent qu'à bouger. Corps jeunes. Athlétiques. Dans le mouvement. En bout de course, le corps vieillissant est plus endurant. Il s'impose malgré les soubresauts des jeunes corps qui le bousculent. Il est imperturbable. Au final, il est toujours seul en scène. Le comédien et la musicienne ayant battus en retraite et quitter la scène. Le danseur continue à tracer des motifs dans son carré. Il finira par quitter. Doucement.

Tout ça donne l'impression d'une performance plutôt sage. Pas vraiment. Le comédien prononce des mots terribles, le danseur montre ses fesses et son corps vieillissant, la musicienne intervient bruyamment pendant la marche solitaire du danseur. Le danseur réquisitionne la guitare de la musicienne, vole les micros et les bouteilles d'eau. Le trio n'est pas sage du tout.  

Une belle complicité
Si le trio offre une belle complicité, le tout semble passablement dissocié. Peu de cohérence entre les éléments et entre les deux parties du spectacle. La première partie en mode grande solitude s'étire un peu trop. C'est quelque peu répétitif. Le lien avec la deuxième partie, plus tonitruante, est ténu.

Seul liant, ce fameux clash des générations et cette ode au corps. En forme de mise à nu. Le danseur, tout de noir vêtu au début, se déshabille progressivement. Pas complètement. Jusqu'au raz des fesses. Il y a tout de même dans cette mise à nu et ce clash, une forme de victoire du corps vieillissant sur le jeune corps. Il est roublard ce Fortier. En livrant ainsi son corps vieillissant qui triomphe de jeunes corps, il offre une certaine promesse d'un corps éternellement jeune.

Crédit photo: Sandrick Mathurin
Allez-y surtout si vous aimez: les spectacles audacieux, voir une dernière fois Paul-André Fortier danser, des corps atypiques en danse, les rencontres de générations.

À La Rotonde pour un dernier soir (30 novembre). Avec Paul-André Fortier, Étienne Pilon et Jackie Gallant. Un texte d'Étienne Lepage. Une mise en scène de Paul-André Fortier et Étienne Lepage. Une chorégraphie de Paul-André Fortier.

Vous voulez en savoir plus sur le spectacle? Écoutez notre interview avec Paul-André Fortier ici (au tout début de l'émission du 26 novembre.

Bon théâtre et bonne danse!

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