jeudi 1 novembre 2018

The Dragonfly of Chicoutimi: il était une fois

La Bordée propose comme deuxième opus de sa saison une pièce perturbante qui entraîne le spectateur au coeur d'un cauchemar à la fois politique et intime.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Synopsis (tiré de The Dragonfly of Chicoutimi : une interprétation micropsychanalytique de Chiara Lespérance parue dans L'Annuaire théâtral, automne 1999)

Un homme s'enferme, de longues années, dans un mutisme sans faille. Un matin, à la sortie d'un cauchemar, il retrouve la parole. Or, pour ce francophone le rêve libérateur s'est manifesté en anglais. Seul sur la scène, Gaston Talbot entreprend un monologue à travers lequel il essaie de reconstruire sa propre image et de trouver un contact avec la réalité extérieure.

My body is a total ruin
but the river rivière aux Roches still flows in my veins
[...]
I hear inside my body
not the water
but the rocks of the river rivière aux Roches
[...]
as you can observe
my body is full of surprises full full full.

Politique et intime
La pièce a été écrite au tournant du référendum de 1995, et Larry Tremblay ne s'en est jamais caché, dans une optique politique. La perte de la langue maternelle, le français, disparue sans que l'on s'en rende compte par un beau matin. La quête est bien politique.

C'est aussi une quête personnelle, celle d'un homme, Gaston Talbot, qui se retrouve dans un univers qu'il ne saisit plus. L'enfant qui jouait aux cowboys et aux indiens, et dont les espoirs lointains ne se sont pas matérialisés, s'invente une vie puis se raconte la vraie histoire. Il a peur de se perdre dans un monde en changement. Il est impuissant en quelque sorte. Impuissance qui prend la forme d'un discours en anglais. Soliloque anglicisé que l'on peut associer à la perte de sa langue maternelle, le français. Le politique rejoint l'intime ici. L'espoir du retour à la langue française se pointe le nez au déliement alors que l'on entend la chanson J'attendrai de Tino Rossi. Une lueur d'espoir dans un monde sombre.

La première quête se noie quelque peu dans la scénographie éclatante proposé par Patric Saucier et son équipe. Ou, peut-être, est-ce que la question de la langue semble s'être engourdie? Effacée par une conscientisation disparue, par une perception que la langue n'est plus en danger ou par un bilinguisme plus généralisé où la langue de Shakespeare fait partie de la vie courante de nombre de nos concitoyens sans que l'on n'y voit une quelconque menace.

Magie scénique
L’ensemble de cette pièce fonctionne comme un récit de rêve que les concepteurs ont magnifiquement transposé sur scène. Le décor de Vanessa Cadrin, magnifique écrin, est enrobé d'un mirifique éclairage. L'onirisme enveloppe le texte et le jeu des deux protagonistes. L'histoire, faite de confessions, prend forme sous nous yeux à travers la magie de ces prodigieux concepteurs. Les vidéos de Keven Dubois, la musique d'Émilie Clepper, qu'il fait bon de retrouver à Québec, et le décor pivotant contribuent fortement à donner forme au rêve. La magie opère.

Les images produites par ce rêve, dans le texte et grâce à la magie scénique évoquée précédemment, ainsi que l'acte même de le raconter forcent l'aveu d'un crime passé. Car crime il y a. Le rêve devient donc le moteur de la confession du protagoniste principal.

Il est important de noter que le récit de rêve en question se fait en anglais. Il ne s'y glisse que quelques brindilles musicales en français. Si l'anglais est plus ou moins rudimentaire, le spectateur doit s'attendre à un spectacle offert surtout dans la langue de Shakespeare, ce qui pourrait en rebuter quelques-uns. Comme la spectatrice derrière moi qui regrettait être venu alors qu'elle ne comprenait pas l'anglais.


Allez-y surtout si vous aimez: les récits de rêve, l'onirisme, les spectacles en anglais, Jack Robitaille, les solos (ou presque solo) au théâtre, les performances de comédiens, la musique d'Émilie Clepper.

À La Bordée jusqu'au 24 novembre. Avec Jack Robitaille et Sarah Villeneuve-Desjardins. Une mise en scène de Patric Saucier. Un texte de Larry Tremblay.

Vous voulez en savoir plus sur le spectacle? Écoutez notre interview avec Patric Saucier ici (vers la quarantième minute de l'émission du 22 octobre).

Bon théâtre et bonne danse!
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