samedi 21 septembre 2019

Le Cercle de craie caucasien: road movie théâtral

Le Trident propose un spectacle à la fois cinématographique et théâtral, tragique et comique, sombre et lumineux en ouverture de saison. Un moment de théâtre à découvrir!

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis


Synopsis (tiré du site web Babelio)
Dans une ville de l'ancien Caucase, le gouverneur est renversé et pendu. Sa femme s'enfuit en laissant son enfant, le petit Michel. Groucha, une fille de cuisine, ira, pour le sauver des mains des hommes d'armes acharnés à le retrouver, jusqu'à épouser un paysan prétendument mourant. La guerre finie, provisoirement, le fiancé de Groucha, le soldat Simon, la retrouve avec cet enfant, se méprend, et la quitte. La femme du gouverneur revient elle aussi et réclame Michel.

Pendant la guerre, le grand-duc a trouvé refuge auprès du vagabond Azdak qui a été nommé, à la faveur de la pagaille générale, juge du district. Ses jugements n'ont jamais été que paradoxaux : ne prenait-il pas aux riches pour donner aux pauvres? C'est lui qui prononcera la sentence aux termes de laquelle l'une des deux femmes, Groucha ou la femme du gouverneur, gardera le petit Michel.


« Michel, il faut que nous soyons rusés.
Si nous nous faisons petits comme des coquerelles,
la belle-sœur oubliera que nous sommes dans la maison.
Et nous pourrons rester jusqu’à la fonte des neiges.»
Extrait du spectacle

Road movie théâtral
Écrit en pleine fin de deuxième conflit mondial et joué une première fois en 1948, Le Cercle de craie caucasien est un véritable road movie théâtral ou même un road movie tragi-comique. Une épopée qui sous la forme d'une histoire somme toute simple, la fuite et les épreuves d'une fille de cuisine, Groucha, pour sauver un enfant de la mort, se délie avec un procès dirigé par un vagabond devenu juge qui instruit l'affaire opposant les mères adoptive et biologique du petit Michel. Ce dénouement, le cercle de craie du titre, s'inspire du biblique Jugement de Salomon qui menace deux femmes de couper en deux l'enfant qu'elles se disputent. Il est touchant, les larmes pourraient couler de certains yeux, et s'offre en une finale qui prend des airs de fable. Il invite à la réflexion et au questionnement.


« Nous avons passé trois jours dans un chalet à découper le texte pour en faire un scène à scène, comme si nous faisions un film. »
Olivier Normand qui parle de la dramaturgie du spectacle dans le programme.

L'aspect cinématographique est certainement ce qui domine ici. La salle est coupée en deux par une longue rampe où les comédiens s'exécutent régulièrement. Exercice périlleux s'il en est un, mais cela a l'immense avantage d'amener l'histoire tout près des spectateurs qui, comme ce sera le cas en conclusion du spectacle, seront chacun d'un côté du cercle de craie où le partage de l'enfant entre les deux mères se fera. D'un coup ils sont impliqués dans l'aventure, ils prennent parti dirait-on, ou à tout le moins doivent se questionner sur ce partage plutôt cruel.

Des personnages hors normes
Dans un style complètement différent que son Songe d'une nuit d'été mais dans le même élan de dynamiser, actualiser et vivifier le spectacle, Olivier Normand offre une aventure à la fois épurée dans sa scénographie et éclatée dans l'allure des personnages.

Dans un décor vide d'objets, ou presque, les personnages de la bourgeoisie sont caricaturés dans des habits colorés et outranciers alors que les gueux et le peuple sont couverts de vêtements simples au couleurs généralement sombres. Les bourgeois sont hors normes dans des accoutrements grotesques et leurs attitudes mesquines et dénuées de sens commun alors que le peuple dans des attitudes et des comportements au ras des pâquerettes prennent des allures surdimensionnés. Tout ça permet de mettre bien en évidence la bonté et la générosité du geste de Groucha qui évolue dans un monde déchiré et en proie à l'injustice de toutes sortes.

La mise en scène d'Olivier Normand, tout en étant cinématographique, est également assez physique. Groucha s'offre un exercice d'hébertisme ent traversant la scène de bout en bout sur un fil de fer et l'ensemble de la distribution s'offre des tours de force physique sur la longue passerelle. Le positionnement de celle-ci demande une bonne dose d'attention de la part des spectateurs et complique un peu le suivi de l'histoire alors que certains d'entre eux doivent faire des contorsions pour voir les acteurs.

Il manque une déclinaison claire entre la tragédie et le comique. On ne sait trop si on doit rire ou si on doit pleurer. Certains moments sont clairement hilarants mais l'écart entre les différents costumes et le ton donné à quelques reprises par les comédiens, sûrement une directive du metteur en scène, créent de l'inconfort et de l'incertitude à cet égard.

Si la mise en scène est dynamique, il y a quelques longueurs bien qu'Olivier Normand ait effectué quelques coupures dans le texte original. Les nombreux noirs ralentissent le rythme et ce malgré un environnement sonore fort bien dosé. D'ailleurs la présence sur scène des musiciens est une excellente idée. Ils se transforment même en comédiens, le temps d'un mariage arrangé. Les choix musicaux et sonores deviennent, comme le mentionnait la comédienne Anne-Marie Côté en interview aux Enfants du paradis, un acteur supplémentaire présent tout au long du spectacle. Les éclairages sont également magnifiques et créent non seulement des ambiances mais des lieux.

Le Cercle de craie caucasien est un beau moment de théâtre même s'il pourrait en laisser quelques-uns sur leur appétit.

Allez-y surtout si vous aimez: l'ambivalence, le ludisme, l'onirisme, Bertold Brecht, les mises en scène d'Olivier Normand.

Jusqu'au 12 octobre au Trident. Avec Josué Beaucage, Emmanuel Bédard, Maude Boutin St-Pierre, Anne-Marie Côté, Jonathan Gagnon, Israël Gamache, Jean-Michel Girouard, Steve Hamel, Valérie Laroche, Nicolas Létourneau, Jocelyn Paré, Mary-Lee Picknell, Monika Pilon, Sophie Thibeault ainsi que Léonard Joubert, Florian Vachon, Eugénie Cormier et Jeanne Turcotte (en alternance). Un texte de Bertolt Brecht. Une mise en scène d'Olivier Normand.

Vous voulez en apprendre plus? Écoutez notre interview avec Anne-Marie Côté au tout début de l'émission du 9 septembre.

Bon théâtre et bonne danse!
Suivez-nous quotidiennement sur Twitter: @Enfantsparadis et @Rob_Boisclair

Aucun commentaire:

Publier un commentaire