jeudi 16 janvier 2020

Les mains d'Edwige au moment de la naissance: du chaos naît l'espoir

Une lueur d'espoir, c'est ce que véhicule cette oeuvre de jeunesse de Wajdi Mouawad. Un spectacle envoûtant aux allures guerrières qui donne lieu à une étrange rédemption.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis


Synopsis (largement inspiré du site web du théâtre)
Edwige a un don : quand elle prie, une eau pure sort de ses mains. Ses parents décident d’organiser une cérémonie et de faire payer les gens afin qu’ils voient ce miracle. Edwige refuse de se livrer à ce cirque, mais voilà que la maison est bondée, que les parents insistent, et que les gens sont de plus en plus impatients. De la cave où elle se terre, elle assiste au retour d'Esther, qui vient accoucher dans ses bras, pendant que le village au complet se bat au salon.


Oui, l'amour, l'amour, maman, l'amour, quoi d'autre que l'amour?
Quoi d'autre que l'amour, maman, pouvait faire battre le coeur d'Esther
jusqu'à le faire exploser, éclater, le fracasser?
Quoi d'autre que l'amour pouvait-il la pousser, Esther à tout laisser
pour s'en aller courir, s'en aller rêver, abandonner tout pour gagner tout?
Quoi d'autre, maman, que l'amour pouvait-il apaiser son âme?

Une odeur de guerre
En ouverture de spectacle Edwige apparaît, telle une figure christique, en compagnie de son père dans une scène quasi-dénudée. Ne s'y trouve qu'une scène recouverte en son centre d'un plancher blanc. Trône au-dessus des protagonistes, une structure blanche qui ressemble aux dessous d'un escalier. Des bruits de pas enveloppent la discussion entre la fille et le père signifiant l'arrivée des invités à l'étrange cérémonie organisée par les parents. Ils viennent sous le prétexte de l'enterrement de leur autre fille alors que tous viennent véritablement pour voir l'eau couler des mains d'Edwige au moment de la prière.

La jeune fille découvrant le stratagème élaboré par ses parents refuse obstinément de monter de la cave à l'étage pour accomplir le miracle souhaité par la famille qui espère bien tirer profit monétairement, puisque tous doivent payer leur dû pour assister à l'événement.

Cette scène dénudée se transformera tout au long de la pièce en un lieu d'affrontements. Entre Edwige et chacun des membres de la famille, sauf Esther qui vient pour accoucher, la bataille sera rude. La scène blanchâtre se peint doucement et par petites touches de noir et de rouge. Le sous-sol, lieu de tous les affrontements, ressemble à un scène de guerre: on s'y bat, on s'y engueule, on se peint de noir, on y répand le sang et on s'y réconcilie.

L'image guerrière y flotte moins que celle d'en haut où tout brûle, dans l'hystérie générale un incendie est allumé à l'étage. Sorte de relent d'un passé pas si lointain pour cette oeuvre de jeunesse d'un auteur ayant connu la guerre. Si en haut tout brûle, dans les cendres du bas, la vie naîtra. Rédemptrice.

Étrange rédemption
Une étrange rédemption s'y opérera alors que celle que l'on venait enterrer après dix ans d'absence donne naissance dans le sang à un enfant. La famille finit par se réconcilier. De la mort attendue, la vie renaît au propre comme au figuré. Mais qu'en restera-t-il alors qu'à l'étage le feu s'empare de la maison?

De la naissance dans la douleur et le sang de cet enfant et de cette réconciliation familiale, il y a un espoir, une promesse d'espoir. L'amour est possible. Du chaos naîtra l'amour.

Les protagonistes discutent beaucoup mais s'affrontent peu. Le texte, s'il a de bien beaux moments poétiques, est un peu lourd. Il y manque une dose de légèreté, d'humour. Tout y est brut. Comme s'il fallait lancer son message à tout prix. Et que seul le fond importait. Pour faire passer un contenu aussi dense, il aurait fallu un peu plus de légèreté.

Ici, tout est rythmé par la pression de la foule qui s'active en haut et qui est bruyante. L'environnement sonore est essentiel dans cette production. Il rythme tout. Il enveloppe tout. À la fois discret et présent, musique enveloppante ou ambiance créatrice d'émotions. L'emballage sonore en est même obsédant.

La distribution mérite bien plus qu'une étoile. D'un texte aux allures brutes et pas toujours facile, ils en tirent le meilleur. De ce texte lourd ainsi que de certains personnages unidimensionnels, il s'y pointe de beaux moments. Notons, le discours touchant de la mère, Lorraine Côté, ou le discours d'Esther, Annabelle Pelletier-Legros, à sa mère, alors que cette dernière croît discuter avec Edwige, sur la raison de son départ (voir l'extrait dans le synopsis).

Les deux comédiennes principales, Marianne Marceau-Gauvin et Annebelle Pelletier-Legros, malgré quelques accrocs, surprennent. Elles portent le spectacle sur leurs épaules.

Allez-y surtout si vous aimez: les spectacles qui laissent toute la place au texte, les oeuvres de jeunesse, le théâtre de Wajdi Mouawad, les filles rebelles, les textes ampoulés.

Jusqu'au 8 février à La Bordée. Avec Normand Bissonnette, Samuel Corbeil, Lorraine Côté, Marianne Marceau-Gauvin, Annabelle Pelletier-Legros et Lucien Ratio. Un texte de Wajdi Mouawad. Une mise en scène de Jocelyn Pelletier.

Bon théâtre et bonne danse!
Suivez-nous quotidiennement sur Twitter: @Enfantsparadis et @Rob_Boisclair

Aucun commentaire:

Publier un commentaire