vendredi 17 septembre 2021

Le meilleur des mondes: en quête de bonheur

La quête du bonheur, question existentielle s'il en est une. Guillaume Corbeil et Nancy Bernier s'y attaque avec brio. Retour sur un grand moment de théâtre.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Crédit photo: Stéphane Bourgeois

Synopsis (tiré du site web du Trident)
Dans un monde où la technologie s’assure que tout soit parfait, Bernard est convaincu qu’il ne l’est pas. Il se croit différent des autres, ce qui le fait énormément souffrir. Quand chez lui, au beau milieu de la nuit, surgissent Linda et son fils John, deux réfugiés venus d’en dehors des murs, sa vie se transforme. Ces nouveaux amis le rendent célèbre et, au contact de cette gloire, son mal s’éteint. Tous seraient-ils enfin heureux? John, ce jeune homme qui a fait sa propre éducation en lisant l’œuvre complète de Shakespeare et le seul à ne pas avoir été créé en laboratoire, serait-il l’exception? Est-il dangereux? Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume du Bonheur?

Le secret du bonheur, c’est d’aimer ce qu’on est obligé de faire.

Aldous Huxley fait paraître en 1932 Le meilleur des mondes, un des récits de science-fiction les plus célèbres, inventant une humanité qui érige le bonheur en droit universel. Si Huxley s’attaque aux dictatures, on peut maintenant voir dans cette dystopie un monde anticipé qui, aussi fantaisiste puisse-t-il paraître, nous rappelle le nôtre.

Crédit photo: Stéphane Bourgeois

En quête de bonheur
Le bonheur? Comment le définir? Comment le vivre? Et, question fondamentale, qu'est-ce que le bonheur? Aldous Huxley propose dans son roman un monde aseptisé, formatté, bien encadré où le bonheur est prédéterminé. C'est celui qui est défini pour nous. Celui que l'on nous impose par l'entremise d'une vie programmée. Le destin est scellé. Aucune possibilité de le changer, d'avoir de l'initiative, ou si peu, d'expérimenter ou de faire des choix.

Ce monde qui ronronne et qui semble fonctionner à merveille sera chamboulée par l'arrivée d'un binôme mère/fils. Ils se retrouvent chez Bernard (sympathique perdant), membre malheureux de l'élite sociale qui souffre d'un mal-être qu'il a de la difficulté à comprendre, rencontre deux exilés qui vivent en marge de ce meilleur des mondes. Ils sont en quête d'une vie différente de celle qu'ils connaissent. La mère veut retrouver une parcelle de sa vie d'avant alors que le fils vient découvrir ce monde qu'il ne connaissait pas.

Leur arrivée va chambouler l'univers bien formaté de Bernard. La candeur de l'idéaliste fils, alias John, vient remettre en question la vie de sympathique perdant qu'est Bernard. Avec John, ce monde aseptisé s'ouvre à de nouvelles voies, de nouvelles opportunités. Et si la vie dans ce meilleur des mondes n'était pas la vie rêvée? Si ce n'était pas le chemin du bonheur? S'il y avait une autre voie? Plus humaine? Plus relationnelle? Remplie de découvertes? D'essais et d'erreurs?

La candeur et la sincérité de John s'opposent à ce monde aseptisé et dénué d'émotions sincères. Personne n'en ressortira vraiment gagnant mais le processus de remise en questions et de transformations s'amorce pour le meilleur ou pour le pire. Cette opposition ramène une autre question fondamentale, le bonheur peut-il se mettre en capsule? Y a-t-il un seul bonheur ou chacun trouve-t-il le sien?

Crédit photo: Stéphane Bourgeois

Épatant et dynamique 
Adapté au théâtre un roman de 1932, qui fait plus de 300 pages et qui est reconnu comme un des plus grands succès littéraires de son genre, n'est pas une mince affaire. Guillaume Corbeil et Nancy Bernier réussissent haut la main le pari.

Guillaume Corbeil insuffle un rythme et un ton résolument moderne au roman original. Pas un instant a-t-on l'impression d'être dans un monde imaginé en 1932 pour un futur qui pourrait bien être 2021. Le texte vif fait dans l'humour à de nombreuses reprises. Corbeil avec la complicité Nancy Bernier, la metteuse en scène, accueillent le public alors qu'une voix féminine lance en boucle une série de répliques. Malheureusement, le brouhaha de la salle empêche de bien les entendre. Mon petit doigt me dit qu'il pourrait y avoir une touche d'ironie dans ce préambule.

Le duo créatif crée un monde dystopique bien de notre temps. Le roman de Huxley ne prend aussi aucune ride bien au contraire et ce, grâce à la créativité et l'inventivité de Corbeil et Bernier. L'omniprésence des vidéos et la scénographie minimaliste, excellent choix pour récréer les nombreux lieux du roman, servent magnifiquement le propos.

Dans son adaptation Guillaume Corbeil s'intéresse à la quête du bonheur, celle que l'on cherche tous mais que peu d'entre nous trouvent véritablement. Le meilleur des mondes version Corbeil, c'est une quête inlassable (et impossible?) pour trouver le véritable bonheur, le seul, le vrai.

Une mise en scène épatante qui mise sur une esthétique futuriste. Les personnages de l'univers aseptisé portent des habits aux accents futuristes, ce que ne mettent pas en évidence les photos tirées du programme et que l'on retrouve ici puisque ce sont des photos d'une séance de répétition fort probablement. Le monde qu'ils habitent se vit au rythme des écrans et des bracelets du futur qui constituent les seuls moyens de communiquer ou d'obtenir des biens. La mise en scène est dynamique, vivante.

Grâce au texte et à la mise en scène nos travers nous sont lancés en pleine face. Notre engourdissement n'en est que plus évident. Notre refus individuel et collectif de changer les choses transpire dans chaque geste de la direction d'acteurs, chaque mot du texte et chaque esthétique de la mise en scène.

Les deux intrus, la mère et le fils, pourrait être votre voisin ou votre frère. Ils sont habillés avec des vêtements de nos jours. Cette familiarité avec les vêtements de John et sa mère crée la possibilité que ce monde dystopique pourrait être le nôtre demain. Un monde préfabriqué et contrôlé par une élite qui ne se préoccupe guère des désirs, des attentes et des besoins de tous les autres membres de la société. L'éviterons-nous? Serons-nous résistants? Ou pas?

Crédit photo: Stéphane Bourgeois

Allez-y surtout si vous aimez: les mises en scène efficaces, le bonheur, les égoportraits, les productions menées tambour battant, réfléchir à votre rapport au bonheur, les spectacles inventifs.

Jusqu'au 9 octobre au Trident. Avec David Bouchard, Ariane Bellavance-Fafard, Simon Lepage, Vincent Paquette, Sophie Thibeault et Agnès Zacharie. Une mise en scène de Nancy Bernier. Un texte de Guillaume Corbeil d'après l'oeuvre d'Aldous Huxley.

Bon théâtre, bonne danse et bon cirque!
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