mercredi 16 février 2022

Aime-moi parce que rien n'arrive: jeux de séduction, jeux de pouvoir

 Séduction et pouvoir se confondent dans un jeu où le séducteur n'est peut-être pas celui ou celle que l'on croit.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Crédit photo: David Mendoza Hélaine

Synopsis (tiré du site web de Premier acte)
Ceux qui aiment Julie la trouvent fascinante ; ceux qui la détestent la qualifient de folle.

Ils sont trois : Julie Jean et Christine. Ces deux derniers sont fiancés. Ils travaillent tous pour la même compagnie – celle du père de Julie.

Ce soir-là, Julie reçoit tous les employés pour une grande fête au chalet familial. Elle ne va pas bien; il faut qu’elle marche sur quelque chose ou quelqu’un pour reprendre son élan. Ce quelqu’un sera parfois Christine, parfois Jean. Parfois une femme, parfois un homme.

Au début de chaque représentation, on tirera au sort pour déterminer la distribution de la soirée. Il y aura donc une histoire, deux spectacles. Et peut-être deux perceptions.

Gabrielle Ferron s’inspire librement de Mademoiselle Julie de Strindberg pour signer une première création qui dissèque les rapports de domination et les biais cognitifs. Après le succès de Blackbird en 2019, Son théâtre continue d’explorer les relations humaines complexes et de confronter les perceptions avec Aime-moi parce que rien n’arrive, une histoire où les privilèges de chacun peuvent se retourner contre eux.

Crédit photo: David Mendoza Hélaine

En quête d’amour
Lorsqu’il y a un jeu de séduction qui tourne au vinaigre entre un homme et une femme, la conclusion est souvent vite trouvée. Il est le profiteur, l’abuseur et elle la victime, celle qui succombe aux charmes du séducteur. Et si ce n’était pas aussi simple, aussi clair? Et si c'était un jeu de pouvoir plus qu'un jeu de séduction? Et si conquérant et victime étaient du même genre, la situation serait-elle la même? Notre perception changerait-elle? Et puis, celui ou celle qui manipule est-il bien celui ou celle que l'on croit? Se pourrait-il qu'il y ait une troisième option, le ou la cocufié(e)? Ce sont les questionnements que propose Aime-moi parce que rien n’arrive, une introspection au coeur même du processus de séduction et de prise de pouvoir.

Une proposition ou, selon la sélection faite aux hasard par les comédiens, le séducteur sera homme ou femme. Et même lorsque le choix est fait, le séducteur ou la séductrice n’est pas nécessairement celui ou celle que l’on croit. Ou peut-être les deux? Ou peut-être est-ce plus compliqué?

C’est ce qui est intéressant avec Aime-moi parce que rien n'arrive, la quête de l’amour n’est pas aussi simple qu’il parait. Mais elle est autant un jeu de séduction qu’un jeu de pouvoir. Un jeu qui n’est pas sans conséquence. A cet égard, le déliement offre un effet miroir ou le séducteur ou la séductrice devient interchangeable. Un inversement de rôles qui questionne. La séduction masculine et féminine se catapultent. L’inversement des rôles offre un nouveau regard sur la séduction genrée. Pourquoi une telle différence? Questionnement intéressant pou lequel la pièce n’offre pas de réponses.

Crédit photo: David Mendoza Hélaine

Rythme lent
Séduire ne se fait pas en criant ciseau. Cela prend un certain temps. Gabrielle Ferron a fait le pari d’un déroulement en temps réel. Un choix qui prolonge certaines scènes inutilement. Ainsi, quand une protagoniste fait la vaisselle après une fête bien arrosée, cela se déroule en temps réel et dans un silence quasi total. Des minutes d’attente bien inutiles qui brisent le rythme. Ce type de situation se répète à quelques reprises malheureusement.

Le jeu des comédiens, surtout dans les deux premiers tiers, s’étire. Les ressentis ne sont pas toujours clairement définis. Il y a un certain flou qui prend du temps. Le rythme et l’intrigue ne prennent véritablement leur envol que dans le dernier tiers.  L'intensité est alors palpable, le jeu se fait plus subtil. La vengeance, la colère, la douceur, la peur de l'abandon ou de ne pas être aimé sont habilement exprimées par le trio formé d'Ariane Bellavance-Fafard, de Catherine Côté et de Gabriel Fournier

Crédit photo: David Mendoza Hélaine

Une prise de paroles intéressante
Malgré ses défauts, la prise de paroles est plus qu’intéressante. La séduction est -elle genrée? Une séduction est-elle plus nocive que l’autre? Inverser les rôles surprend et interroge le regard que l’on porte sur la séduction et sur notre propre façon de séduire.

Est-il nécessaire de voir les deux versions de la pièce pour bien comprendre les nuances dans la séduction et dans la prise de pouvoir? Si le déliement donne bien quelques pistes, j'avoue être curieux de découvrir l'autre côté de la médaille afin de savoir si ma perception serait différente. Pari risqué puisque le choix se fait par tirage au sort à chaque soir. Mais cette option me titille tout de même. Une suggestion à l'équipe, pourquoi ne pas prévoir les versions en alternance? Ce serait vraiment génial de pouvoir voir les deux versions pour confronter nos préjugés et, peut-être, revoir notre mode de séduction pour en évacuer les aspects nocifs?

Allez-y surtout si vous aimez: la découverte, jeter un regard sur la séduction.

Jusqu'au 5 mars à Premier acte. Avec Ariane Bellavance-Fafard, Catherine Côté et Gabriel Fournier. Un texte et une mise en scène de Gabrielle Ferron.

Les Enfants du paradis est un blogue qui s'intéresse au théâtre, à la danse et au cirque de Québec. Vous y trouverez des critiques, des informations concernant les lancements de programmation ainsi que des nouvelles d'actualité. Un blogue à consulter régulièrement.

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