mercredi 9 mars 2022

Je suis mixte: désopilante comédie

Mathieu Quesnel et son trio d'acteurs propose une agréable comédie autour d'un thème passablement plus sérieux, celui de la remise en question qui nous assaille tous. Un cabaret festif et déjanté pour notre plus grand plaisir.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Crédit photo: Mathieu Quesnel

Prise de conscience entre Berlin et Drummondville
Avec humour, musique live et projections vidéo, Mathieu Quesnel s’attaque à la recherche identitaire d’une manière tout à fait étonnante et sensible. Véritable coup de foudre artistique pour le comédien Yves Jacques, ce témoignage-spectacle inusité met en scène deux hommes tentant d’apprivoiser les multiples désirs qui les habitent malgré l’influence d’une société traditionaliste. Entre refoulement et liberté, ces bouleversements intérieurs sont susceptibles d’éclabousser le plus commun des mortels. À vos risques et plaisirs !

Synopsis (tiré du site web du Périscope)
À l’aube de la quarantaine, François est un exemple de réussite personnelle et professionnelle aux yeux de la société. Pourtant, il subit un puissant déclic psychique lors d’un voyage d’affaires en Allemagne, alors qu’il se lie d’amitié avec des épicuriens qui changeront sa façon de voir la vie. Il basculera tranquillement du «côté obscur de la force» et n’en reviendra peut-être jamais. Inspiré par la remise en question de son neveu et accompagné de l’énigmatique The Ghost, soutien musical et philosophique, l’oncle s’immisce dans le récit et guide François dans sa quête de bien-être.

FRANÇOIS
Ça fait 50 ans que ma famille est dans le domaine du nettoyage industriel, on possède une vingtaine de points de service un peu partout au Québec, environ cinq cents employés, on a pour dix millions d’équipements de nettoyage à haute pression; on fait autant du résidentiel que du commercial, juste pour dire à quel point c’est big c’est nous autres qui a le contrat de nettoyage du parlement.

RICHARD
Pis de la Place Laurier aussi, pis de tous les restaurants Normandin. Vous connaissez ça les Normandin? Dans la région de Québec…? C’est des restos où tu peux manger de n’importe quoi. Y a des clubs, des spaghs, des crevettes. C’est pas toujours bon, mais c’est pratique. En tout cas c’est notre famille qui nettoie ça. Mais moi j’étais pas là-dedans par exemple, non, moi j’ai été notaire pendant trente-cinq ans. Heille tu peux-tu croire ça?  Trente-cinq ans à signer pis à faire signer des papiers…

Il fait le geste de se tirer une balle dans la tête.

FRANÇOIS
Mononcle…

RICHARD
Oué oué s’cuse.

Trouver sa voie… et sa voix
Être mixte, c’est trouvé sa voie et écouter, ou pas, la petite voix intérieure. Celle qui nous dit que le bonheur est ailleurs. Ou qui nous laisse entrevoir que c’est plus vert dans le jardin du voisin.

Pour poser le geste, ou pas, c’est parfois le destin, bien plus que la prise de position claire, qui nous secoue. Mais peu importe, l’indécision nous turlupine. Elle nous guette, nous travaille. La mixité évoquée dans le texte et le titre, c’est celle-là. Et François, le protagoniste principal, sera confronté à ce questionnement lors d’une rencontre fortuite à l’occasion d’un voyage à Berlin.

Crédit photo: Mathieu Quesnel

Un cabaret festif et déjanté
Nous avons tous vécu ce type de questionnement à un moment ou un autre. Et c’est ce que vit notre héros. Pour nous mettre dans l’ambiance Mathieu Quesnel nous invite dans un univers éclaté où tout et son contraire s’y trouve.

Tout d’abord la scénographie où des l’entrée en salle, la scène est une sorte de foutoir composé d’un fatras d’objets. Ce pourrait être le cerveau de celui qui se cherche. Comme ces questions et banalités de notre vie courante se catapultent l’une l’autre. Parfois l’attrait du nouveau, de l’inconnu l’emportent alors qu'à d’autres les moments chéris du présent et de leur banalité apparente sortent gagnants. Parfois la rupture sera le choix gagnant, à d’autres la vie quotidienne actuelle sera la victoire du jour. Combat qui se répète jusqu’à l’aboutissement d’une décision ou d’un coup du destin.

À ce capharnaüm organisé se greffent un écran central, où le départ de Montréal à Berlin se déroule sous nos yeux pendant que les spectateurs attendent le début de la pièce, ainsi qu'un écran télé qui retourne l'image de la salle prise par un caméra sur pied. Un espace musicien se trouve à droite de la scène, prélude à l'esprit cabaret qui animera le parcours de notre protagoniste à de nombreuses reprises. Un mannequin placé dans la salle intrigue. Il disparaîtra bien vite pour réapparaître plus tard. Deux rideaux, un rouge et un noir se trouvent en fond de scène droite et gauche. Devant tout ça, des objets et des meubles quelque peu hétéroclites jonchent la scène. Tout est en place pour le tourbillon festif qui se déroulera dans la tête de François et devant nous tout au long du spectacle.

Mathieu Quesnel a écrit son texte à la manière de ce combat qui agite notre esprit. La mise en scène est également éclatée. Le jeu des comédiens s’y glissent merveilleusement bien avec une fougue juvénile qui séduit, fait rire et amène le public, que les comédiens taquinent et impliquent dans le spectacle à quelques reprises, à devenir des participants actifs au spectacle. Les apartés, les digressions, les décrochages contrôlés et les couacs sont nombreux et donnent l’effet escompté, celui du brouhaha qui agite notre esprit dans ses moments de crise et de remises en question.

Ainsi, Mathieu Quesnel s'est attardé à la fois sur la forme et le fond pour décliner ce mal de vivre qui assaille François. S'il explore le bouleversement intérieur où tradition et liberté, refoulement et plaisir s'affrontent, les questionnements soulevés par l'auteur ne sont guère nouveaux. Le plaisir qu'y trouve le spectateur se situe bien plus dans le chaos scénique créé par la mise en scène et la structure du texte complètement débridées. Le spectateur y prend son pied et plus encore.

Crédit photo: Mathieu Quesnel

Des interprétations bon enfant
Yves Jacques est excellent dans le rôle de l’oncle. Son personnage atypique mais catalyseur pousse la réflexion du neveu qui hésite, puis se lance à corps perdu dans la découverte d'une vie berlinoise fort différente de sa vie drummondvilloise. Il est, sans l'ombre d'un doute, le plus drôle de tous dans le rôle de cet oncle qui vient perturber, et parfois aider, la réflexion d'un neveu qui se cherche.

Benoit Mauffette est juste assez juvénile, hésitant et un peu fou pour nous faire croire à sa dérape. Un troisième larron, musicien ajoute la touche festive pour cette tournée qui ne se terminera peut-être pas comme elle a débutée.

Navet Confit est la touche musicale qui confère à ce Je suis mixte son air de cavale festive sans fin où les sorties en bar et en musique succèdent aux virées dans les saunas mixtes de Berlin.

Crédit photo: Mathieu Quesnel

Berlin ou Drummondville?
Le dénouement laisse planer le doute sur le choix final du neveu. Mais est-ce vraiment un choix final? Si vous avez eu, comme moi, un ou plusieurs épisodes de remises en question vous connaissez sans doute ce qu’il en est vraiment!

Si la réflexion proposée par Mathieu Quesnel ne semble qu'être superficielle, elle met bien en évidence que nous sommes des êtres complexes et qu'après tout les deux solutions peuvent très bien convenir à différentes époques de notre vie. Ce que vient appuyer merveilleusement bien la mise en scène.

Soyez avisé qu’il y a une fausse finale. Alors que l’on pense que le spectacle est terminé, nous avons droit un dernier épisode musical. Un moment agréable mais qui n’ajoute rien a l’histoire si ce n’est de revoir Yves Jacques en chanteur, un retour à une carrière qu’il a mené quelques années avant de se consacrer à sa véritable passion le théâtre. Comme quoi, les remises en question touchent tout le monde même les plus grands.

Crédit photo: Mathieu Quesnel

Allez-y surtout si vous aimez: les spectacles déjantés, les cabarets musicaux, l’esprit adolescent et festif au théâtre, Yves Jacques.

Jusqu'au 13 mars au Périscope. Avec Yves Jacques, Benoit Mauffette et Navet Confit. Un texte et une mise en scène de Mathieu Quesnel.

Les Enfants du paradis est un blogue qui s'intéresse au théâtre, à la danse et au cirque de Québec. Vous y trouverez des critiques, des informations concernant les lancements de programmation ainsi que des nouvelles d'actualité. Un blogue à consulter régulièrement.

Bon théâtre, bonne danse et bon cirque!
Suivez-nous quotidiennement sur Twitter: @Enfantsparadis et @Rob_Boisclair

Aucun commentaire:

Publier un commentaire