samedi 23 avril 2022

Un ennemi du peuple: audacieuse Patenaude!

 La politique municipale, version Patenaude et Ibsen, est une mascarade grotesque où les intérêts personnels dominent au détriment de ceux de l’ensemble de population.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Crédit photo: Stéphane Bourgeois

Synopsis (inspiré largement du site web du Trident)
La Docteure Stockmann découvre que la station thermale de son village n’est pas saine. L’eau est pleine de bactéries nocives. En bonne citoyenne, elle est convaincue que son devoir est de prévenir la population. Mais les travaux nécessaires pour remédier au problème coûtent cher et auraient de grandes répercussions pour les commerçants de la ville. Le maire, son frère, n’est pas d’accord pour rendre publiques les analyses. Il va mettre tout en œuvre pour la faire taire.

La Docteure devient «l’ennemi public» du village, alors qu’elle croyait que tous les villageois allaient être de son côté pour avoir dénoncé une mauvaise gestion de la municipalité. Elle va se rendre compte de la vraie nature des relations entre les humains et la politique.

Mais qui est le véritable ennemi public: l’élu qui cache de l’information pour sauver la vitalité économique d’une ville, le responsable des médias qui retourne sa veste, ou quelqu’un de prêt à tout pour le bien commun?

Crédit photo: Stéphane Bourgeois

Un décor qui a de la gueule
Dès son arrivée en salle, le spectateur découvre un décor et une scénographie qui ont fière allure. Fidèle à son habitude, le Trident offre décor d'une grande beauté. Tout est léché. Fignolé. Travaillé dans le moindre détail. Le décor qui occupe l'ensemble de la scène est un pur ravissement.

Le scène est divisée en quatre zones: côtés gauche et droit, arrière scène et centre de la scène. Les côtés sont des zones d'attente. Les comédiens et les techniciens de scène s'y installent au fur et à mesure que se déroule la pièce. Le centre de scène seront tour à tour des zones de jeu primaire, où l'action principale s'y déroule, et secondaire, où se déroulera des activités complémentaires à la zone primaire. Il y a donc constamment plusieurs actions simultanées, ce qui amène le spectateur à régulièrement s'intéresser à différentes zones et à décrocher de l'intrigue principale.

Ces quatre zones, la scénographie et le décor sont la base d'un spectacle qui magnifie le réalisme des situations. L'interprétation et la mise en scène se sont intéressés à chaque petit détail pour s'approcher le plus possible du réalisme de chaque situation. Ainsi, un souper entre amis, scène d'ouverture du spectacle, offre au spectateur deux actions qui se superposent alors qu'une discussion principale se déroule au salon en zone centrale et qu'une autre se déroule en cuisine en zone arrière scène.

La metteuse en scène a poussé le réalisme jusqu'à utilisé comme conseiller dramaturgique le politicien et député Sol Zanetti. Il a sans doute conseillé la metteuse en scène et les comédiens sur les attitudes, les travers ainsi que les excès des politiciens québécois. Une addition fructueuse qui ajoute à la justesse du jeu des comédiens. Le spectateur attentif y découvrira certaines des façons de dire et de faire la politique québécoise.

Crédit photo: Stéphane Bourgeois

Une mise en scène audacieuse
A la fois déjanté, éclaté et sérieux dans son propos, Un ennemi du peuple est un spectacle qui séduit par son dynamisme et sa fougue. Rien, ou presque n’est traditionnel dans cette production audacieuse mise en scène par une Edith Patenaude qui ose grandement. Une proposition qui ne séduit pas tout les publics, quelques spectateurs ayant quitté la salle à l’entracte.

Il faut d’ailleurs une certaine ouverture d'esprit pour accepter la proposition tant tout est souligné à gros traits, exacerbé même. Les coulisses sont visibles, les moments forts et les rebondissements sont fortement accentués, les techniciens deviennent des intervenants et interagissent avec les comédiens, le quatrième mur n’existe plus, le public est pris à partie et les comédiens s’installent dans la salle en deuxième partie.

Rien n’est ce qu’il devrait être. Tout est grotesque. Parfois enrobé d’une bonne dose d’humour, particulièrement lors des changements de décor où les techniciens de scène deviennent les souffre-douleurs des comédiens.

Mi-figue, mi-raisin
Si l’audace d’Edith Patenaude, le rythme, le réalisme, l’humour noir et le jeu bon enfant amusent, il n’en demeure pas moins que l’objectif premier est noyé.

La mise en scène complètement déjantée, folle, éclatée et qui occupe une grande place a le désavantage de masquer le message essentiel, celui des dangers qui guettent les démocraties. Si la fête est joyeusement chaotique, le message se perd quelque peu dans tout ce brouhaha. Parfois, être original nuit plus qu’il n'aide. La réflexion concernant la mince ligne entre démocratie et démagogie s’estompe, s’efface même complètement dans cette première partie.

Au retour de l’entracte, les choix de mises en scène de Patenaude y prennent tout leurs sens, alors qu'auparavant le spectateur y cherchait ses repères. La scène de la révolte de cette deuxième partie est absolument jouissive et rattrape la mise.

La politique municipale, version Patenaude et Ibsen, est une mascarade grotesque où les intérêts personnels dominent au détriment de ceux de l’ensemble de population. Elle est une tragédie, un drame innommable. Démocratie et justice y sont les grands perdant.


D'excellents comédiens
Jean-Sebastien Ouellette crédible dans le rôle du détestable maire est un fort juste contre-poids à l’excellente Ève Landry dans le rôle de la fougueuse et déterminée médecin attachée au bains de la ville. Steve Gagnon offre un savoureux rédacteur en chef, malléable comme certains politiciens en rêve, aux idéaux qui fluctuent à la vitesse grand V et en fonction des intérêts du leader du moment.

Si le message essentiel de ce spectacle n’occupe pas la place qui lui revient, Édith Patenaude propose une joyeuse fête qui n’est quand même pas piquée des vers. Elle fait le bonheur du plus triste des spectateurs qui ne repart pas complètement bredouille.

Allez-y surtout si vous aimez: les spectacles déjantés, les performances d’acteurs, les mises en scène d’Edith Patenaude, Ibsen.

Jusqu'au 14 mai au Trident. Avec  Ève Landry, Jean-Sébastien Ouellette, Steve Gagnon, Noémie O'Farrell, Kevin McCoy, Marianne Marceau, Éric Leblanc, Emmanuel Bédard, Camille Malo, Antonin Girard, Savina Figueras, Israël Gamache, Jeanne Gionet-Lavigne et Dominique Pétin . Un texte d'Henrik Ibsen dans une adaptation de Sarah Berthiaume. Une mise en scène d'Édith Patenaude.

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