vendredi 8 mars 2019

Antigone: apocalyptique

Olivier Arteau, trois auteures et le Trident ont osé un pari audacieux, celui de reprendre la tragédie de Sophocle, de la retranscrire et de lui donner un air de modernisme. Pari réussi?

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Synopsis (tiré du site web du Trident)

Les deux frères d’Antigone, Étéocle et Polynice, se sont entretués pour le trône. Créon, roi et oncle d’Antigone, donne l’ordre d’ensevelir Étéocle mais interdit à quiconque de faire la même chose pour Polynice. Antigone refuse cet ordre, s’indigne et fera tout pour rétablir la justice.

Depuis que Sophocle a créé le personnage d’Antigone, les artistes de toutes disciplines confondues se sont approprié cette figure mythique de l’opposition à l’ordre établi. Que ce soit Brecht, Cocteau, Yourcenar, Anouilh, Racine, les adaptations et réinterprétations n’ont jamais cessé de fuser de toutes parts. Et si Antigone vivait à notre époque? Qu’est-ce qui la ferait se tenir debout, quelle forme prendrait sa résistance?
Ismène, tu peux accepter que notre frère soit brûlé pis jeté dans une poubelle je sais pas où ? Pas moi. Tu dis qu’on a la vie devant nous, mais on a rien devant nous. On est scrappées. - Antigone, acte 1, scène 1
Apocalyptique
L'équipe de la production a fait le choix de réécrire Antigone dans une langue d'une clarté splendide. Elle est bien de chez-nous cette langue et bien loin de langue poétique certes, mais empesée des traditionnelles présentations de ce chef-d'oeuvre grec. Malheureusement, trop souvent y retrouve-t-on des anglicismes qui se mélange au franglais si cher aux jeunes générations. Certains spectateurs, dont je suis, n'apprécient guère et se perdent dans un dédale linguistique qu'ils n'arrivent pas toujours à capter correctement.

La pièce a un cachet résolument moderne, voire apocalyptique. Tout y est sombre. L'éclairage, magnifique, s'offre principalement dans des teintes de gris. L'environnement scénique grandement dépouillé fait penser à un univers de fin du monde. L'ambiance y est sombre. Lourde. Un univers qui est scénographiquement dépeint comme apocalyptique.

Cette vision est accentuée par des personnages hors norme. Ils sont, pour la plupart, masqués, porteurs d'une paire de lunettes aux allures intersidérales ou fortement maquillés. Les costumes s'apparentent à ceux des films de science-fiction des années 70. Ils sont plastifiés, gonflés, surdimensionnés et non-genrés.

Le monde d'Antigone n'est plus divin. Il est bien humain. Cette héroïne des temps modernes se confronte à la justice des hommes. D'un homme très certainement. Celle de son oncle qui détient le pouvoir au nom du peuple. C'est à tout le moins sa prétention.

Pari réussi?
Si la pièce regorge de symboles de notre monde actuel, la tragédie que vit Antigone s'exprime sans véritable émotion. Le monde offert et proposé est bien clinquant mais le sens de la véritable tragédie se perd dans un océan d'images qui, certes, restent en tête et frappe l'imaginaire, mais qui ne débouchent sur aucun ressenti, aucune vive émotion. 

Antigone est une héroïne, une vraie. Un être fort. Combatif. Elle ne déroge pas à ses valeurs profondes. Elles les honorent, malgré les conséquences, même si la mort l'attend au tournant. Dans tout ce fatras d'images, fortes par moments, tout le drame qu'elle vit disparaît pour n'être qu'un détail de l'histoire.

Heureusement, le metteur en scène a préservé certains moments phares où les dialogues prennent toute la place. Instants de grâce où l'émotion passe. Où le drame s'éclaire. Où la tragédie s'offre comme un cadeau attendu depuis longtemps. Entre ceux-ci, des moments tape-à-l'oeil et un séduisant vernis qui véhiculent des préoccupations modernes mais qui, en bout de course, n'ajoutent rien au drame de cette héroïne.  

Antigone a une facture résolument jeune qui ne plaira pas à tous. Les 40 ans et plus en sortiront avec un bof! bien senti. Les plus jeunes parleront de génie, et il en a cet Arteau, et porteront ce spectacle aux nues. Qui a raison? Qui a tort? Probablement les deux. C'est ça la magie du théâtre. Certains adorent un spectacle. D'autres détestent le même spectacle. Mais la rencontre est toujours là. Bien présente. Et c'est ce qui compte.

Allez-y surtout si vous aimez: Olivier Arteau, être déstabilisé, les transpositions osées, sortir de votre zone de confort.

Au Trident jusqu'au 30 mars. Avec Jean-Denis Beaudoin, Nancy Bernier, Joëlle Bourdon, Joanie Lehoux, Patrick Ouellet, Annabelle Pelletier Legros, Steven Lee Potvin, Lucien Ratio, Vincent Roy, Réjean Vallée, Sarah Villeneuve-Desjardins et Alexandrine Warren. Un texte de Pascale Renaud-Hébert, Rébecca Déraspe et Annick Lefebvre d'après Sophocle. Une mise en scène d'Olivier Arteau.

Vous voulez en savoir plus sur le spectacle? Écoutez notre interview avec Joanie Lehoux ici (vers la vingtième minute de l'émission du 25 février).

Bon théâtre et bonne danse!
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