samedi 30 juin 2018

Cheeese!: comédie légère

Peut-on facilement passer à autre chose après une rupture amoureuse? C'est le thème de la comédie d'été que propose le Nouveau Théâtre de l'Île d'Orléans. Une chose est assurée, le tout se fera dans la bonne humeur et la bonhommie.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: François Angers
Synopsis (tiré du site du Nouveau Théâtre de lÎle d'Orléans)
Pas facile de refaire sa vie après une rupture amoureuse, surtout lorsque votre ex est une top-modèle internationale et que votre meilleur ami est un adolescent attardé! C’est pourtant le cas de Luc, un photographe de mariage blasé et allergique aux changements.

Lorsque Luc découvre un matin que la pétillante Annie, une ancienne amie d’école idéaliste et insouciante, s’est invitée à dormir sur son divan, il sera cette fois forcé de faire du ménage dans sa vie. Annie réussira-t-elle à faire changer Luc pour de bon? Mais surtout, arrivera-t-elle à refaire sourire le photographe? Cheeese!

Crédit photo: François Angers
Comédie légère
Dans cette comédie légère le passé prend la forme d'une ex et d'un meilleur ami adulescent. Classique, direz-vous? Effectivement, mais le tout est emballé dans un joli écrin scénographique. Un décor à la fois simple, un 1 1/2 avec un lit, un divan, un petit espace cuisine et quelques accessoires, dont une photographie du mannequin international Krystel, interprété par Mary-Lee Picknell, et efficace.

Deux portes rythment les effets comiques. Sans être un boulevard dans sa plus pure tradition, cette comédie s'en donne des airs avec ses gentils mensonges, ses situations cocasses et ses portes qui claquent. Le trop grand nombre de noirs ralentit inutilement le déroulement de l'action. La comédie n'en serait que plus efficace si tout s'enchaînait plus promptement. Les gags s'imbriqueraient ainsi plus facilement les uns dans les autres entrainant des rires en cascade.

Crédit photo: François Angers
Des comédiens au diapason
Des personnages fringants à la gaieté vive, voire insouciante, peuplent cette charmante comédie. L'ensemble de la distribution excelle. Le quatuor de comédiens fait preuve d'une belle cohésion. Ils sont au diapason et se complètent fort bien.

Les situations cocasses se succèdent à un bon rythme. Si la comédie offerte est divertissante, il faut souligner que le texte manque de punch par moments.  Créé il y huit ans, il ne semble pas avoir été mis au gout du jour. Certaines références ne sont plus actuelles et certains gags tombent à plat. Heureusement, la qualité de l'interprétation pallie grandement cette lacune.

La deuxième partie du spectacle, celle qui suit l'entracte, est nettement plus dynamique et plus enlevante. Le tempo est excellent et les gags fusent plus régulièrement.

Crédit photo: François Angers
Allez-y surtout si vous aimez: les comédies romantiques, l'humour léger, les textes de Claude Montminy.


Crédit photo: François Angers
Au Nouveau Théâtre de l'Île d'Orléans jusqu'au 2 septembre. Un texte de Claude Montminy. Avec Mary-Lee Picknell, Chantal Dupuis, Nicolas Drolet et Israël Gamache. Une mise en scène de Sébastien Dorval.

Bon théâtre et bonne danse!

mercredi 27 juin 2018

Gym tonic: tonifiant!

Supportée par des acteurs survitaminés, cette comédie légère propose un divertissement tonifiant. Malgré quelques faiblesses, le spectateur y trouve son bonheur et son plaisir.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Catherine Chouinard
Synopsis (tiré du site du Théâtre - La Roche à Veillon)
Martine Laforce, 50 ans. Célibataire au cœur brisé par le départ récent de son mari. Pour sortir de sa torpeur, elle met les pieds au gym. Un ambitieux projet pour une sportive de salon…

Saura-t-elle suivre le rythme? Musculation, workout, biceps et spandex, elle en verra de toutes les couleurs. Des entraîneurs intenses aux clients étonnants, tous suivront son parcours digne d’un pèlerinage. Gym Tonic, un portrait humoristique sur l’estime de soi, la performance et le culte du corps. Pour une soirée délirante à couper le souffle! Go! Go! Go!

Du théâtre physique
Dans un décor épuré, Bertrand Alain, le metteur en scène et Nancy Bernier, la productrice et comédienne, proposent un spectacle de théâtre chanté qui met l'accent sur le jeu physique des comédiens.

Crédit photo: Catherine Chouinard
Une production tonifiante où les comédiens se donnent à fond dans un jeu à la fois clownesque et athlétique. Ils offrent des performances physiques hallucinantes. Le burlesque est à l'honneur et Nancy Bernier et Réjean Vallée s'y donnent à coeur joie. Sarah Villeneuve-Desjardins et Christian Michaud ne sont pas en reste en offrant une panoplie de personnages tous plus loufoques les uns que les autres. Peut-être un peu trop par moments. Ici, le burlesque noie l'émotion.

Si le rythme est rapide, les scènes très courtes qui s'enchaînent rapidement ne permettent pas aux comédiens de laisser paraître l'émotion des personnages. Rire c'est bien, mais découvrir des personnages sensibles, qui vivent et aiment, c'est mieux.

Crédit photo: Catherine Chouinard
Du théâtre chanté
Gym Tonic s'offre une multitude de tubes des années 70, 80 et 90. Les grands succès de ces trois décennies sont repris par les comédiens. Ils sont l'expression de l'émotion du moment ou de l'état d'esprit des protagonistes. Certaines parodies musicales inspirées de scènes ou de moments marquants de films de ces époques, Titanic ou Rocky pour ne nommer que ceux-là, sont savoureuses.

À plusieurs reprises, les spectateurs se sont laissés emporter par les tubes, chantant avec les comédiens ou battant le rythme. Engouement que les comédiens n'encourageaient pas beaucoup. Le public aurait aimé poursuivre plus longuement. Malheureusement, la fluidité de la pièce ne le permettait pas. Il serait intéressant que cette participation soit supportée. Le plaisir n'en serait que plus grand pour le spectateur et la représentation pourrait devenir un véritable happening, un événement mémorable et un moment de grâce.

Crédit photo: Catherine Chouinard
La sélection musicale séduira les plus âgés mais les références ne seront pas marquantes pour les plus jeunes générations. Il s'y glisse tout de même quelques vers d'oreille notables que siffleront toutes les générations à la fin du spectacle.

Un moment agréable pour qui laisse son cerveau au vestiaire. Un spectacle bonbon qu'on s'offre pour le divertissement pur et le plaisir de voir des comédiens s'éclater dans le seul but de nous faire rire. Que demander de plus après une superbe journée d'été?

Allez-y surtout si vous aimez: les comédies d'été, les tubes des années 70, 80 et 90, l'humour léger, le jeu d'acteur survitaminé.

Au Théâtre - La Roche à Veillon jusqu'au 1er septembre. Un texte de Bruno Marquis. Avec Nancy Bernier, Christian Michaud, Sarah Villeneuve-Desjardins et Réjean Vallée. Une mise en scène de Bertrand Alain.

Bon théâtre et bonne danse!

lundi 25 juin 2018

En pause estivale? Pas tout à fait!

Si vous visitez régulièrement ce blogue vous avez sans doute remarqué qu'il est en semi-pause estivale. Enfin presque!

Un billet de Robert Boisclair


En fait, ce blogue ne sera pas complètement en pause pour la saison d'été. Bien que l'activité reprendra plus régulièrement au mois d'août, il y aura, entre autres, des critiques de spectacles à quelques reprises dont... au moins une fois cette semaine.

Surveillez donc ce blogue, vous risquez d'y faire quelques belles découvertes. Notre compte Twitter continuera d'être actif également, alors suivez-nous tout au long de l'été. Au plaisir de vous retrouvez ici ou sur Twitter.

Bon théâtre et bonne danse !

dimanche 10 juin 2018

Mon Carrefour en trois questions

Le Carrefour international de théâtre de Québec est maintenant terminé et il est temps de faire un petit retour sur cette 19e édition. Voici donc en trois questions, comment j'ai vécu mon Carrefour


Quel moment me restera en mémoire?

Difficile de faire un choix, il y en aura donc trois. La scène du mât chinois de Réversible: un incroyable numéro où plusieurs acrobates, jusqu'à huit, s'exécutent en même temps sur un mât chinois. Un moment marquant d'un spectacle époustouflant du début à la fin. Notre critique du spectacle.

Creeps: présenté une seule fois dans le cadres des Chantiers. Le spectacle qui m'a le plus sorti de ma zone de confort. L'imaginaire s'y est confronté au réel. Un représentation qui tourne autour de la peur et de l'horreur où textes suggestifs se mêlaient à des performances en direct issues du théâtre underground qui questionne sur les limites que l'on doit s'imposer au théâtre soit jusqu'où peut-on aller dans la démonstration de la douleur et de l'horreur?

La relation scène/salle ou le rôle du comédien vs le spectateur: plusieurs spectacles ont abordé cette thématique. La frontière entre la salle et la scène et le rôle de chacun s'est fait plus ténue. Quelques spectacles ont abordé cet aspect: Nombre, Halfbreadtechnique et, dans une moindre mesure, Non Finito. Une relation en questionnement même en saison régulière, Extras et ordinaires présenté à Premier acte en est un exemple. Le théâtre se cherche-t-il? Le spectateur embarque-t-il dans cette mutation du théâtre? Si je me fie à la discussion des Regards croisés en fermeture du festival, il est bien possible que non. Quelques interventions s'y sont inscrites en faux. Notre critique de NombreNotre critique de HalfbreadtechniqueNotre critique de Non Finito.

Quelle est la proposition qui m'a le plus surpris, secoué, questionné?

Le plus surpris: Cold Blood. Pour la magie obtenue avec des doigts, des mains, une caméra et des maquettes. Je ne m'attendais pas à être surpris à ce point. Le résultat était magnifique et magique. Malheureusement présenté une seule fois, le spectacle a aussi conquis la foule qui s'est levé d'un bond. Notre critique du spectacle.

Le plus secoué: Creeps. Pour, entre autres, ma réaction face au texte horrifique, qui ne m'inspire guère de frayeur, alors que la réalité démonstrative de la souffrance m'a fortement fait réagir. Révulsion et fascination, un mélange de réactions qui m'a surpris, et une réaction viscérale à une démonstration si crue. Un moment qui marque mais que je n'aimerais pas nécessairement revivre.

Le plus questionné: Nombre. Un spectacle qui questionne sur ce qu'est le théâtre et jusqu'où l'on peut amener le spectateur à y participer. Est-ce bien ça que j'aimerais vivre au théâtre? Jusqu'où voudrais-je y aller? Des questions intéressantes sur l'essence même de ce qu'est le théâtre. J'ai aimé l'expérience, et le spectacle, mais aimerais-je le vivre à répétition? Question encore sans réponse pour moi. Et, question fondamentale, est-ce un désir profond de l'ensemble des spectateurs? Notre critique du spectacle.

Quels grands thèmes reliaient certains spectacles du Carrefour?

En cette époque des médias sociaux où tout le monde, ou presque, est constamment connecté, la solitude s'est imposé comme un des thèmes récurrents de ce 19e Carrefour. Hamlet Director's Cut et cet auto-dialogue d'Hamlet qui mettait en évidence sa très grande solitude. Dans la solitude des champs de coton où deux solitudes se rencontrent sous la forme d'un faux dialogue, chacun dans son univers dans sa pensée propre. Ils se parlent mais ne se répondent pas vraiment. Nombre où les solitudes habituelles du spectateur et du comédien, chacun dans leur univers sans jamais se rencontrer, se rencontrent finalement alors que le spectateur devient acteur d'un vivre ensemble qui prend forme. Le dialogue est ténu, il se fait par micro interposé et n'est jamais un véritable dialogue, mais il y a un début de discussion. Le vivre ensemble est davantage celui des spectateurs qui perdent leur anonymat et se rencontrent brièvement.

La relation salle/scène évoquée précédemment est l'autre grand thème de cette 19e édition. Le quatrième mur disparaît dans au moins trois spectacles, Nombre, Non Finito et Halfbreadtechnique. Dans un autre spectacle, Le Wild West Show de Gabriel Dumont, il y a une forme de relation subtile avec le spectateur. On l'invoque très souvent mais c'est présent. Il semble y avoir un reformulation désirée de la relation entre le comédien et le spectateur chez nos créateurs. Un rafraîchissement intéressant mais qui ébranle un peu ma relation comédien/spectateur. Ce n'est pas désagréable du tout mais cela me questionne tout de même.

Voilà qui résume, brièvement, mon Carrefour. Comment était le vôtre?

Bon théâtre et bonne danse !

jeudi 7 juin 2018

Le Wild West Show de Gabriel Dumont: déjanté!

C'est à un cabaret théâtral complètement déjanté auquel est convié le spectateur. Une immense fête au ton pédagogique et ludique qui s'intéresse à un pan oublié de l'histoire canadienne.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Jonathan Lorange
Synopsis (tiré du site du Carrefour international de théâtre de Québec)
Au lendemain de la pendaison de son complice Louis Riel, le réputé chasseur de bisons Gabriel Dumont, chef de la résistance des Métis dans l’Ouest du Canada, s’enfuit aux États-Unis pour s’y réfugier. Il s’engage alors auprès de Buffalo Bill, déjà célèbre pour ses Wild West Shows, des spectacles populaires à grand déploiement croisant vaudeville, cirque et rodéo. Marqué par son expérience, Dumont rêvera toute sa vie de reprendre cette forme afin de raconter l’histoire de la lutte de son peuple pour la reconnaissance de ses droits, de son territoire et de son identité.

Œuvre d’un collectif de dix auteurs dirigé par Jean Marc Dalpé, Alexis Martin et Yvette Nolan regroupant des artistes autochtones, métis, francophones et anglophones de partout au Canada, Le Wild West Show de Gabriel Dumont est un grand cabaret théâtral burlesque qui réalise enfin le fantasme fou de Dumont !

Inspirée des mythiques spectacles de Buffalo Bill, l’ambitieuse création revisite avec humour la révolte des Métis de Saskatchewan de 1884 et 1885. Saga désopilante et éclectique, pleine de fantaisies et d’anachronismes savoureux, le spectacle allie faits historiques, comédie, danse, chant et même tours de magie pour raconter en plusieurs sketchs, souvent loufoques, cet épisode sombre du pays. Comme un miroir tendu au peuple canadien, cette fresque vivante éclaire les mémoires plurielles d’une même histoire pour les faire dialoguer, tentant un pas de plus vers la réconciliation.

Un cabaret théâtral déjanté
L'histoire oublié des Métis de la Saskatchewan revit grâce au Wild West Show de Gabriel Dumont. Un pan de l'histoire revisité sous la forme d'un cabaret théâtral complètement déjanté. Si le mélange cabaret, musique, comédie, farce, magie amuse à plusieurs reprises, il n'en reste pas moins que tout cela dilue le contenu historique.

On y fait dans l'excessif ce qui limite notre identification aux personnages. On aimerait bien prendre parti pour cette tentative de reconquête de son coin de pays par Gabriel Dumont, mais l'humour à tous crins ne sert pas bien le propos. Elle éloigne du sujet. Le spectateur se perd dans un dédale d'apartés, d'exagérations et de cabotinages.

L'enjeu dramatique, ténu avant l'entracte, trouve l'écrin parfait dans la dernière partie du spectacle. La représentation se pose en douceur. Le cabotinage et les exagérations font place à une émotion sentie. Et les nombreuses ficelles laissées en suspend précédemment sont attachées dans un déliement dramatique qui frappe juste.

Qui dit cabaret dit musique. Et la musique d'Adriana Turenne l'enrobe magnifiquement. Cette multi-instrumentiste de talent propose un environnement sonore efficace. Les comédiens se tirent fort bien d'affaire dans cette saga qui requiert beaucoup de fougue et de complicité dans la manipulation des nombreux accessoires et éléments de décor qui vont et viennent sur scène.

Crédit photo: Jonathan Lorange
Divertissante production
Le Wild West Show de Gabriel Dumont est une chance rarissime de voir des artistes provenant de différentes régions et cultures. Rarement a-t-on la chance de voir sur une même scène des artistes autochtones, francophones et anglophones se donnant la réplique. S'amusant les uns avec les autres tout en nous faisant connaître une mince bribe de leur culture et de leur langue.

Au final, si tout semble éparpillé, il n'en reste pas moins que c'est un spectacle des plus divertissants. Un joyeux festin théâtral qui ne laisse pas sur son appétit. Un spectacle complètement déjanté avec de nombreux clins d'oeil à la culture populaire et aux événements en cours dans notre belle ville.

Crédit photo: Jonathan Lorange
Allez-y surtout si vous aimez: les spectacles à la fois ludiques et pédagogiques, les fantaisies multidisciplinaires, découvrir de nouveaux artistes, les ovnis théâtraux.

À La Bordée dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec jusqu'au 8 juin. Un texte de Jean Marc Dalpé, David Granger, Laura Lussier, Alexis Martin, Andrea Menard, Yvette Nolan, Gilles Poulin-Denis, Paula-Jean Prudat, Mansel Robinson et Kenneth T. Williams. Avec Charles Bender, Jean Marc Dalpé, Katrine Deniset, Gabriel Gosselin, Alexis Martin, Émilie Monnet, Krystle Pederson, Chancz Perry, Dominique Pétin, Andrina Turenne et la participation de Stéphane Mapachee, interprète de danse cérémonielle. Une mise en scène de Mani Soleymanlou.

Bon théâtre et bonne danse!

mercredi 6 juin 2018

Cold Blood: théâtre bonheur

Cold Blood est un divertissement ingénieux qui émerveille. Une féérie en forme d'hommage aux techniciens qui habituellement travaillent dans l'ombre. Un spectacle bonheur qui transforme les derniers moments sur terre en ode à la vie d'une brillante façon.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Julien Lambert
Synopsis (tiré du site du Carrefour international de théâtre de Québec)
Portés par l’extraordinaire succès qu’a connu leur précédente création, Kiss & Cry, la chorégraphe Michèle Anne De Mey et le cinéaste Jaco Van Dormael récidivent. Ils déploient à nouveau leur ingénieux dispositif à la fois scénique et cinématographique et leur émouvante nanodanse pour créer un film en direct sous les yeux des spectateurs. Sur scène, un impressionnant plateau de tournage s’active. Les caméras s’agitent, les décors miniatures s’animent, les mains virtuoses s’élancent et s’enlacent, une voix raconte. Sept récits, sept personnages et autant de morts différentes. Des morts drôles, absurdes, silencieuses; des morts érotiques, nocturnes, inattendues.

Cold Blood entraîne dans l’envers du décor et révèle les mécanismes qui font la magie du cinéma. De prouesses techniques en inventions visuelles, artistes et techniciens, à la vue du public, construisent ce film unique et éphémère. Emporté dans un jeu de rapport d’échelle fascinant, l’œil passe du micro au macro : il vogue des corps entiers aux gestes lilliputiens, des maquettes aux hors-champs, du plateau à l’écran.

Une forêt dans le brouillard, une chambre d’enfant, une ville en feu, un cinéparc, un avion jouet, une salle de bal en verre… toute une panoplie d’objets, de paysages minuscules et d’environnements en format réduit accueillent les doigts qui cabriolent, bondissent, puis s’évanouissent…

Si la pièce parle de la mort, c’est pour embrasser la vie, car il s’agit bien d’une fête, lumineuse et tendre, une ode aux souvenirs et aux sens, à l’amour et aux plaisirs. Le théâtre se trouve transcendé et le public, immédiatement replongé dans l’émerveillement de l’enfance.

Une après-midi qui sentait la vanille
Si on ne vit qu'une seule fois, on peut danser ses morts en doigt de deux. Des morts, il y en aura sept. Toutes plus surprenantes les unes que les autres. Présenté comme un rêve, on nous fait le coup de la séance d'hypnose, on assiste à sept morts où on interroge les voies impénétrables des derniers instants de vie. Et ils ne sont pas exactement comme on se les imagine.

Vous aviez cru qu'au moment de mourir
on voit défiler toute sa vie.
Mais ça ne se passe pas comme ça.
Il ne reste qu'une seule image, inattendue.
Tout le reste a disparu.
Pour vous, ce n'est pas le jour de votre mariage,
ni cette médaille gagnées au hockey.
Pour vous, c'est la douceur d'une peau,
une après-midi qui sentait la vanille...
Thomas Gunzig

Chaque mort proposée est surprenante et... vivifiante. La mort s'enrobe de toutes sortes de tableaux liés par des fondus-enchaînés. Il n'y a pas de nécessairement de liens véritables entre chacun de ces panoramas mais ils sont tous d'une très grande beauté et d'une poésie qui tient à la fois de la lenteur et d'un imaginaire fou. On se prend à sourire de ces derniers moments de vie tant ils sont étonnants.

C'est à un véritable théâtre bonheur auquel nous convie la joyeuse bande de créateurs de ce spectacle. Comme quoi la mort peut prendre un tout autre sens et se faire enchantement et allégresse. Le spectateur quitte la salle le coeur léger et avec l'envie folle de profiter à plein de la vie.

Crédit photo: Julien Lambert
Une nanodanse qui séduit
Ce spectacle en miniature s'offre en grande lucarne. Les pas de deux développés avec les doigts, qui deviennent des doigts de deux, sont filmés et projetés sur grand écran. L'aventure est double pour le spectateur qui voit à la fois la prestation en miniature qui s'exécute juste en dessous de l'écran qui recrache l'action en direct.

Tout cela exige une très grande dextérité des comédiens/danseurs/manipulateurs qui doivent unir, selon un canevas précis, des histoires qui se déroulent dans des lieux miniatures forts différents les uns des autres. Sans oublier les fondus-enchaînés qui demandent une précision d'horloger. Et la nonodanse, cette danse des doigts, qui forcent les comédiens à exécuter quelques contorsions pour exécuter les mouvements dans un décor miniature alors que les caméras tournent. De sublimes chorégraphies qui éblouissent à chaque fois.

L'effet est multiplié par une trame sonore enrobante au registre varié et subtil. L'atmosphère créé par la musique se fait mystérieuse ou décuple l'émotion. Combiné à un texte savoureux, la musique magnifie ces sept rencontres avec la mort. Little Girl Blue interprétée par Nina Simone puis par Janis Joplin ou encore Le Boléro de Ravel figurent parmi les moments les plus prenants, musicalement parlant, du spectacle.

Crédit photo: Julien Lambert
Allez-y surtout si vous aimez: l'imaginaire poétique, l'ingéniosité qui émerveille, le très petit qui s'éclate sur grand écran, le théâtre bonheur.

Au Grand Théâtre de Québec dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec jusqu'au 8 juin. Une création collective de Gregory Grosjean, Thomas Gunzig, Julien Lambert, Sylvie Olivé et Nicolas Olivier. Avec Harry Cleven, Benjamin Dandoy, Michèle Anne De Mey, Pierre De Wurstemberger, Ivan Fox, Gregory Grosjean, Yann Hoogstoel, Julien Lambert et Stefano Serra. Une mise en scène de Jaco Van Dormael et Michèle Anne de Mey.

Bon théâtre et bonne danse!

mardi 5 juin 2018

Non Finito... ou finito?

Claudine Robillard a vaincu ses démons de l'inachèvement avec ce Non Finito qu'elle mène à terme pour notre plus grand plaisir. Une belle incursion dans l'univers de l'inachèvement et une façon de nous confronter à nos propres projets inachevés.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Jonathan Lorange
Synopsis (tiré du site du Carrefour international de théâtre de Québec)
Qui n’accumule pas dans ses carnets, dans ses cartons et dans sa tête une multitude d’idées, d’esquisses et d’intentions attrayantes pourtant abandonnées dans leur essor? Collection de projets laissés en jachère mêlant le théâtre au réel, l’autobiographique à la fiction, Non Finito parle de tous les rêves jamais réalisés qui continuent de nous hanter. Comment peut-on se délivrer de leur poids alors qu’ils encombrent nos esprits et nourrissent en nous une sournoise culpabilité?

Entourée de son équipe d’artistes, professionnels ou non, Claudine Robillard se commet et passe aux aveux. Armée d’une attachante sincérité et de beaucoup d’autodérision, elle détaille d’abord la liste des désirs inassouvis qu’elle emmagasine depuis son enfance. Puis, elle déploie toutes sortes de stratégies visant à vaincre sa propension à butiner d’une entreprise à l’autre sans les mener à terme.

Dans un espace scénique en perpétuelle transformation, allégorie de son cheminement, elle en découd avec ses obstacles intérieurs et avec la démesure paralysante de ses ambitions. Mais si la valeur des idées résidait finalement plus dans les chemins qu’elles labourent que dans leur aboutissement.

Dans une société qui valorise la productivité à outrance et où le résultat final est l’ultime symbole de la réussite, Non Finito évoque les chimères de l’accomplissement et célèbre la beauté de l’inachèvement. Au service de la vie, de ses ratés et de ses possibles, le spectacle résonne en chacun de nous et devient une sorte de rituel de libération collectif qui s’avère joyeusement salutaire.

En toute simplicité
Les spectateurs sont entassés sur une estrade sise dans une petite salle noire. Claudine Robillard, la comédienne principale et maîtresse de cérémonie de cette soirée, passe en revue les espoirs enfouis dans les projets qui ont meublé sa vie depuis son enfance. Jusqu'à son tout dernier. Toujours pas abouti.

Ouverture sur un espace vitré où un comédien répète inlassablement les mêmes extraits de son projet en cours. N'en pouvant plus, il quitte le spectacle. C'est alors que Claudine Robillard décide de regarder le projet d'un autre angle. Nouvelle ouverture, cette fois sur une estrade bien plus grande où les spectateurs sont invités à se déplacer. La perspective du spectateur change. Celle de la maîtresse de cérémonie également.

Des non comédiens se joignent alors à elle pour nous raconter quelques-unes de leurs espérances. Le dialogue s'ouvre entre Claudine Robillard et les nouveaux interprètes ainsi qu'avec le public. L'identification de celui-ci avec les protagonistes est alors très forte. Mais que devient l'ambition, le rêve? Et si les comparses de Claudine Robillard pouvaient les vivre autrement. Aussi vite dit, aussi vite fait.

Tout se fait dans la simplicité. Avec des bouts de rubans pour construire la maison de l'un, que l'autre tentera de vendre. Le public n'est pas en reste puisqu'un spectateur choisi au hasard servira de guide à un autre protagoniste qui n'a jamais eu la chance d'avoir un mentor masculin. C'est d'ailleurs à ce moment que la pièce prend tout son sens. Et que l'émotion est au rendez-vous. Avant, c'est sympathique mais on ne sait trop où tout cela va aboutir.

Crédit photo: Jonathan Lorange
La Caserne des rêves réalisés
Ce Non Finito se transforme en finito. En projets qui, enfin!, prennent forme. Les interprètes, chacun à leur manière, s'offriront une version, édulcorée certes, de leur plus grands rêves. La Caserne sera leur caverne d'Ali Baba. C'est aussi un peu la nôtre. L'occasion de faire la paix avec soi et des rêves non réalisés. Ces petits et grands espoirs de renommée ou de moments d'intense bonheur qui ne se sont jamais matérialisés. Ces rencontres manquées sont d'un incroyable enseignement. Et permettent, surtout, d'apprécier encore plus ceux que l'on a connu ou que l'on connaîtra.

Non Finito permet à l'intime de rencontrer le collectif. Des confidences de cette bande d'acteurs et de non acteurs jaillit une rencontre avec le spectateur qui, l'espace d'un instant, se questionne. Fouille dans sa propre histoire mais, surtout, est interpellé par les aveux des interlocuteurs.

Crédit photo: Jonathan Lorange
Allez-y surtout si vous aimez: les confidences sincères, l'émotion pure, les réflexions sur l'inachèvement, l'utilisation simple et efficace de l'espace scénique, découvrir quelque chose de neuf, de différent.

À la Caserne Dalhousie dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec jusqu'au 7 juin. Avec Evangelos Desborough, Abolfazl Habibi, Niloufar Khalooesmaeili, Jonathan Morier, Claudine Robillard et Richard Touchette. Une mise en scène d'Anne-Marie Guilmaine.

Bon théâtre et bonne danse!

vendredi 1 juin 2018

Hamlet Director's Cut: remixer sa vie

Une ambiance fantomatique et des pensées qui prennent vie grâce à des personnages de synthèse, font de cet Hamlet Director's Cut une oeuvre qui sort de l'ordinaire. Un spectacle audacieux qui revisite une des oeuvres cultes du théâtre de magistrale manière.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Benoit Beaupré
Synopsis (tiré du site du Carrefour international de théâtre de Québec)
Dans cette adaptation très libre de la pièce, Hamlet, seul en scène, épouse un point de vue subjectif  ur son propre récit et en devient le narrateur, le metteur en scène et le réalisateur.

Comme dans la pièce originale, ne pouvant accepter que son oncle ait tué son père et séduit sa mère, il use de l’art pour révéler la vérité. Ici, il interprète tous les rôles, tentant inlassablement de s’expliquer l’insupportable catastrophe familiale. Assailli par le doute, talonné par la folie, il joue et rejoue autrement le déroulement de la tragédie, cherchant à la rendre plausible, à l’éclairer d’une lumière nouvelle, à y trouver un sens. Hamlet, ténébreux et mélancolique, dévoile peu à peu sa version, son montage, sa vision de l’histoire.

Dans une performance d’acteur exceptionnelle, Marc Beaupré marie prodigieusement un monologue colossal à une gestuelle méticuleuse, à mi-chemin entre les arts martiaux et la pantomime. Sur un tulle translucide séparant la scène de l’assistance, des silhouettes mouvantes se dessinent, s’animent, se répètent en boucle, s’entremêlant les unes aux autres.

Ces spectres, ces apparitions, ces dualités intérieures hantent le personnage qui dialogue avec eux. Entre Hamlet, ses doubles et ses doutes, naît une danse belle et troublante qui met en exergue son immense désarroi, sa névrose, son insondable solitude.

Un Hamlet radical
L'histoire épurée, elle fait à peine une heure alors que l'intégrale en fait cinq, rebrasse les pensées d'un Hamlet en quête de lui-même, tentant de chasser le doute par tous les moyens possibles. Cet Hamlet est une transposition mi-virtuelle, mi-réelle où le protagoniste entre en dialogue avec lui-même. Mettant en scène sa propre histoire. La brassant, la remixant jusqu'à ce qu'il en comprenne le sens tout en s'engageant dans un corps-à-corps avec des personnages virtuels.

Hamlet Director's Cut est un spectacle audacieux. C'est un Hamlet en capture de mouvements. L'ambiance est fantomatique. Les pensées d'Hamlet prennent vie devant les yeux des spectateurs en temps réel.

Plusieurs scènes ne seront pas jouées par des personnages mais racontées par Hamlet.
Le personnage tente d'englober la pièce à lui tout seul.
Nous avons adapté le texte mais nous ne l'avons pas modifié.
Marc Beaupré dans une interview à Jeu

Le spectacle est téméraire dans sa structure. Dans ce Shakespeare revampé, le spectateur est déjoué. Il n'est plus dans sa zone de confort habituelle du théâtre de répertoire. Le classique est transformé. Il est transposé dans un théâtre d'avant-garde. À mi-chemin entre la déconstruction théâtrale et le nouveau théâtre. Bref, un classique qui ne se prend pas au sérieux et qui s'aventure en terres inconnues.

Crédit photo: Benoit Beaupré
Remixer sa vie
C'est ce que fait Hamlet dans cette production où, seul en scène, il revit les moments de sa propre histoire. Il la met en scène pour chasser le doute. La comprendre. En saisir le sens. Hamlet Director's Cut, c'est la quête qui obsède certains d'entre nous: donner un sens aux événements qui transforment notre vie, modulent notre avenir.

Comme le réalisateur qui choisit ce qu'il visionne, regarde, rejette, conserve, Hamlet sélectionne les morceaux de son histoire qu'il veut revivre. Il interprète les personnages, leur donne vie. Virtuellement.

Hamlet met en scène les personnages pour les questionner. Ainsi présentée, sa folie est encore plus patente. Plus présente. Elle transpire le doute donnant une nouvelle perspective à l'oeuvre de Shakespeare.

Dans la tête d'Hamlet
La rêverie et le songe, présents dans l'oeuvre shakespearienne, prennent forme ici par l'image. Les fantômes qui hantent les pensées d'Hamlet prennent vie. Il se pointent sur un écran. Ils sortent de la tête d'Hamlet pour s'incarner l'espace d'un moment. Le spectateur a l'impression de se retrouver dans sa tête. Découvrant son irréalité, ses errances, ses délires.

La technique de la capture d'écran, si elle permet de transposer en image les nombreuses spéculations qui habitent l'esprit d'Hamlet, détourne quelque peu du propos et, surtout, de la performance d'acteur qu'offre Marc Beaupré. Au coeur d'une scène vide, il incarne un Hamlet inspiré. Un être à la fois torturé, en quête de lui-même, intériorisé, totalement détaché et incarné lorsqu'il interprète d'autres personnages. Cet homme seul sur scène, interprétant moult personnages qu'il définit clairement par une intonation, un geste ou une modulation de la voix, réussit le pari de nous traduire de façon simple une saga complexe. Marc Beaupré habite les fantômes qui hantent Hamlet. Une sublime performance qui, parfois, disparaît derrière des images de synthèse trop présentes.

Crédit photo: Benoit Beaupré
Allez-y surtout si vous aimez: le théâtre d'avant-garde, découvrir Shakespeare revisité, Marc Beaupré, les performances d'acteur.

À La Bordée dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec jusqu'au 3 juin. Un texte de William Shakespeare dans une traduction de Jean Marc Dalpé. Avec Marc Beaupré. Une dramaturgie et une assistance à la mise en scène de Nicolas Guillemette.

Bon théâtre et bonne danse!