mercredi 10 avril 2024

Quand la révolution gronde | Critique: Nina ou de la fragilité des mouettes empaillées

 Quand la révolution rouge gronde en Russie, la révolution personnelle s'agite. Nina ou de la fragilité des mouettes empaillées présenté au Périscope s'intéresse à cette double révolution et à ses conséquences dans un spectacle aux mille couleurs.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis


Le spectacle en quelques mots
Dans cette variation de La Mouette, Matéi Visniec, l'auteur du spectacle, reprend le trio amoureux au cœur de la pièce: Nina, Treplev et Trigorine. Ils se revoient 15 ans plus tard dans la maison à l’origine de la pièce de Tchekhov.

Nous sommes en 1917, pendant la Première Guerre mondiale mais surtout en pleine révolution russe, et Moscou est le théâtre de grands changements sociaux. C’est dans cette effervescence que Nina retourne vers Treplev pour lui demander de «l’accepter à nouveau». Treplev, vivant seul, accueille donc, malgré lui, Nina et Trigorine, son ancien rival, qui tente de ramener Nina à la raison. Dans ce huis clos absurde et philosophique, on espère que le futur sera meilleur, mais tout n’est qu’illusion.

Le temps d'un été, dans cette maison j'ai été heureuse… Je vois que tu n'as rien changé, Kostya… Tu as toujours ta table de travail à côté de la fenêtre… Ce canapé, je le reconnais aussi… Et cette pendule… Et ce piano… Mais cette mouette empaillée n'était pas ici…
Extrait de la pièce

Une révolution qui n’est pas terminée 
Une actrice ratée, deux auteurs, trois protagonistes qui se retrouvent dans une maison à l’origine de la longue séparation. Quinze ans séparent leur dernière rencontre de celle-ci. Dehors la révolution rouge gronde, dans la maison la révolution personnelle s’agite dans un mouvement plutôt figé et tourne, encore, vers ce passé qui les relient. 

Ce trio s’agite dans une joute littéraire et artistique. Par les mots mais aussi dans un lieu où les environnements sonore, vidéo et lumineux créent un magnifique écrin. La beauté transcende chaque scène. L’art s’immisce. Séduit. Enjolive. La scène se transforme en une sorte de musée. Musée d’art ou musée de la vie. Peut-être un peu des deux.

Seul bémol à ce magnifique écrin, la voix de la chanteuse, car il y a un orchestre sur scène, qui se perd dans une sonorisation qui donne trop de place aux instruments.


La machine Tchekov
Visniec s’approprie la machine Tchekov, sa mouette et ses personnages. Nina, l'actrice au cœur de ce drame, est en quelque sorte cette mouette empaillée qui trône sur scène. Dans la pièce originale de Tchekov la mouette empaillée est l’oiseau que Treplev a tué et offert à Nina. Les deux hommes sont amoureux de Nina, qui en répudie un pour choisir l’autre. Les deux hommes et la femme verront un soldat gelé arriver, symbole d’un nouveau départ après cette révolution personnelle en gestation. Mais prendront-ils un nouveau tournant?

Guillaume Pepin, le metteur en scène, s’empare également de la machine Tchekov de belles manières. La scénographie simple et complexe à la fois avec son orchestre sur scène qui côtoie une horloge grand-père, un bureau de travail, un divan, une zone de bûchage et de coupe du bois, transforme la scène en une sorte de capharnaüm russe où la révolution semble avoir fait son œuvre sans avoir tout transformé. S’ajoute en fond de scène deux écrans et des rideaux qui seront les lieux privilégiés de la représentation du grand froid qui prévaut à l’extérieur comme à l'intérieur de cette résidence, une datcha sans doute.

Des réponses multiples
Les personnages sont en décalage. Ils se cherchent et ne se trouvent pas. Ou peut-être un peu. Une chose est certaine, dans cette pièce les interprétations sont multiples tant les couches de vernis ouvrent de nombreuses portes. C’est à tout le moins une comédie humaine surprenante, voire étrange. On ne sort pas indemne de ce spectacle. Il y a de la détresse dans l’air, de la grande détresse. Mais aussi un désir d’arrêter le temps, Nina y fait une référence directe alors que le dénouement le suspend.

Si le premier tiers de la pièce peut laisser pantois, il faut un temps pour s’habituer à ce rythme lent, posé et à la prose à la fois poétique et tragique, la suite offre des performances solides du trio de comédiens. Un spectacle qui séduit tant par son éclat que par le jeu des comédiens ainsi que par ce magnifique écrin muséal et artistique que nous offrent Visniec et Pepin.

Un spectacle à voir mais pour lequel il faut laisser son esprit rationnel au vestiaire. Vous n’en serez que plus heureux.

Allez-y surtout si vous aimez: Tchekov, les œuvres revisitées, les spectacles musicaux, le froid, les révolutions.

Jusqu'au 27 avril au PériscopeAvec Mary-Lee Picknell, Marc-Antoine Marceau, Jean-Sébastien Ouellette, Marianne Poirier, Josué Beaucage et Kerry Samuels. Un texte de Matéi Visniec. Une mise en scène de Guillaume Pepin.

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