vendredi 10 décembre 2021

Mononk Jules: héros oublié

Un spectacle tout en finesse et douceur qui remet les pendules à l'heure... un tout petit peu en tout cas.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Crédit photo: Jocelynsioui.ca

Synopsis (tiré du site web du Périscope)
Jocelyn Sioui s’est donné comme mission de creuser des trous dans la ligne du temps afin de faire ressortir des morceaux de l’Histoire des Premières Nations et d’utiliser leurs récits pour tenter de réduire le fossé qui nous sépare dans le but qu’on puisse se reconnaître, enfin. Seul sur scène, l’auteur tire sur les petits et grands fils du parcours de son grand-oncle, un héros Wendat qui a bousculé l'Histoire canadienne avant de sombrer dans un énorme précipice de mémoire familiale et historique.

Tout part en 1940. Même si tout a commencé bien avant. Tous les hommes en santé sont conscrits, même les autochtones. Sauf que ces derniers n’ont pas le droit de vote, ils ne sont pas canadiens. Pour Mononk Jules, la conscription sans droit de vote, c’est le début de la guerre. Entre 1940 et 1950, il livre un combat contre le gouvernement canadien qui le mènera jusqu’au sacrifice ultime; une grève de la faim. Son objectif : l’indépendance des Premières Nations. Mononk Jules c’est aussi le récit d’un gars qui essaie de comprendre comment s’écrit ou ne s’écrit pas l’Histoire. Il nous plonge parfois dans des recoins rarement enseignés, en traversant ses propres profondeurs. Touchant, énergique, et avec des pointes d’humour, Mononk Jules déploie un monde captivant avec authenticité par un interprète sincère.

L’Histoire est sale, mais on a le devoir de la raconter.
Jocelyn Sioui

Crédit photo: Jocelynsioui.ca

Un héros oublié
Les histoires familiales sont parfois oubliées. Parfois cachées dans un coin. Parfois redécouvertes. L'histoire familiale prend une tout autre tournure alors. Elle prend une forme inattendue et se disperse dans la famille. Parfois aussi, elle s'inscrit dans l'Histoire. La grande celle avec un H majuscule.

C'est ce qui est arrivé à Jocelyn Sioui. Mon voisin que je ne connais pas personnellement. Pas plus que sa nation, celle des Hurons-Wendats. La découverte d'une caisse mythique au sein de la famille, l'amène à mettre la main sur certains des secrets de la vie de Jules Sioui, son grand-oncle. Cet homme fut, à sa manière, un héros pour les autochtones et un ardent défenseur de la cause. Mais comme tous les héros, il est à la fois un être lumineux et un homme qui cache des parts d'ombre. C'est le voyage auquel nous convie Jocelyn Sioui, partir à la découverte de cet homme et, aussi, de l'histoire oubliée des autochtones, nos compagnons de voyage au cours des quelques 400 dernières années pour lesquels nous n'avons pas été de très bons cohabitants.

Les vainqueurs n'ont pas toujours raison
Le voyage que propose Jocelyn Sioui débute avec la découverte d'une boîte au grenier familial. C'est d'ailleurs avec une collection de boîtes qu'il nous fait découvrir l'histoire oubliée de son grand-oncle et des autochtones. 

En introduction de l'histoire personnelle du grand-oncle, il propose un retour sur l'histoire mouvementée des autochtones. Une histoire où les vainqueurs n'ont pas nécessairement le beau rôle. Pour illustrer l'Histoire et l'histoire, les nombreuses boîtes identifiées aux années charnières de l'aventure historique qu'il propose sont de véritables boîtes de pandore. À chaque boîte son mal. Elles agissent comme autant de démonstrations que les vainqueurs n'ont pas toujours raison. Qu'ils occultent des pans de l'Histoire qui ne les mettent pas en valeur. Si les vainqueurs écrivent l'Histoire, peut-être est-il temps de remettre les pendules à l'heure et de mettre de l'avant les héros et la part importante qu'ont eux les autochtones dans notre cohabitation en Amérique.

Ce qui est intéressant dans ce spectacle, ce sont les pistes qu'il sème de notre histoire commune. D'une réconciliation possible. Déterrer les parts d'ombre de l'histoire des vainqueurs permettra sans doute de reconnaître les torts de chacun afin de bâtir un futur où nous serons tous partenaires égaux dans la construction de la nouvelle société. Plus juste. Plus respectueuse. Notre société à tous, autochtones et allochtones. De la souffrance du traitement imposé aux autochtones que l'on ressent chez Jocelyn Sioui, il ressort tout de même un désir ardent d'un vivre ensemble qui se fera avec les allochtones. 

Crédit photo: Jocelynsioui.ca

Quête personnelle, vulnérabilité, humour et finesse
Quête personnelle, vulnérabilité, humour et finesse, voilà qui résume bien ce spectacle. Jocelyn Sioui s'ouvre dans ce spectacle. Il dévoile les pans secrets de l'histoire du grand-oncle, les parts d'ombre de l'histoire du Québec et du Canada. Dans cette quête personnelle, il se livre avec beaucoup d'honnêteté et de sensibilité. Il se montre vulnérable. Touchant. Sensible.

C'est une oeuvre percutante, parce qu'elle nous aspire dans des parts d'ombre, le traitement injuste fait aux autochtones, que l'on ignore. Délicate, elle aborde avec sensibilité des sujets tabous.

Malgré la lourdeur du sujet tout est fait en humour et en finesse. Le ton est bon enfant par moments. Jocelyn Sioui se moque de lui-même et joue avec le public et certains événements sont dépeints avec une touche d'humour.

L'utilisation de marionnettes faites de papier et de carton transforme les personnages qui parcourent le temps en personnages quasi-vivants. Son très grand talent de conteur rend le tout extrêmement vivant et dynamique. Sa quête personnelle devient la nôtre. On s'identifie à son histoire, on rage et on s'indigne de l'injustice subie par les autochtones. Son histoire devient la nôtre. Elle nous imprègne. 

Pendant les deux heures que durent le spectacle, on ne s'ennuie pas. Les projections, sa spontanéité, ses réparties, son humour, ses mignonnes marionnettes, sa scénographie somme toute dépouillée, les éclairages de Mathieu Marcil et l'environnement sonore de Luzio Altobelli, tous deux propices à la confidence, font de ce spectacle un moment de théâtre qu'il ne faut pas manquer de voir.

Crédit photo: Jocelynsioui.ca

Allez-y surtout si vous aimez: l'histoire revisitée, les performances de conteur, le théâtre documentaire, les spectacles qui déboulonnent les mythes.

Jusqu'au 18 décembre au Périscope. Avec Jocelyn Sioui. Un texte de Jocelyn Sioui. Une mise en scène de Jocelyn Sioui.

Les Enfants du paradis est un blogue qui s'intéresse au théâtre, à la danse et au cirque de Québec. Vous y trouverez des critiques, des informations concernant les lancements de programmation ainsi que des nouvelles d'actualité. Un blogue à consulter régulièrement.

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