samedi 3 mars 2018

Une bête sur la lune: la photo de l'espoir

Quitter les horreurs de la guerre pour une patrie remplie de promesses n'est pas synonyme d'un bonheur assuré. La délivrance peut passer par un temps d'épreuves douloureuses et d'espoirs déçus.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Nicola-Frank Vachon
La photo de l'espoir
Nous sommes en 1921 aux États-Unis dans le Wisconsin où Aram Thomassian est photographe. Il a survécu miraculeusement au génocide arménien. Il a choisi, sur photo, une jeune épouse, Seta, elle aussi survivante du massacre.

L'univers d'Aram tourne autour d'une photo, celle de sa famille dont les têtes sont découpées, et d'un espoir, celui de fonder une famille. Quand Seta le rejoint, elle ne comprend pas ce mari emmuré dans une gravité qu'elle a de la difficulté à percer. Lui ne perçoit pas la terreur qui habite cette jeune femme au discours incessant. Il veut des enfants. Elle est stérile. Le temps des épreuves douloureuses et des espoirs déçus s'amorcent.

Crédit photo: Nicola-Frank Vachon
Une vie en suspens
En entrant dans la salle, le spectateur découvre un intérieur sobre: une table, quelques chaises, des cloisons pour délimiter les autres pièces de la maisonnée, un meuble sur lequel trône une photo aux têtes décapitées, un appareil photo sur trépied. À l'avant-scène du côté cour, un espace sablonneux meublé de quelques objets épars. Vestiges du passé.

L'appartement d'Aram est suspendu dans le temps. L'enfance que la guerre lui a volée prend toute la place. La vie s'est arrêtée lorsque la famille d'Aram s'est éteinte. L'espoir d'une famille reconstituée ne pourra se faire qu'avec l'arrivée de Seta. Mais elle est stérile. Son rêve inassouvi, Aram devient un mort-vivant. Son espoir de remplir les cases vides de la famille éteinte n'est plus. Il met sa vie sur pause. Elle a de la difficulté à l'accepter. Elle voudrait vivre son rêve d'être heureuse. D'être vivante à nouveau. Jusqu'au jour où...

Crédit photo: Nicola-Frank Vachon
La mise en scène tout en délicatesse d'Amélie Bergeron met judicieusement de l'avant le sous-texte principal du sublime texte de Kalinoski: la possibilité d'un vrai contact entre êtres humains. Car c'est bien de ça qu'il est question ici. Comme le mentionnait Irina Brook dans sa mise en scène parisienne « cette pièce a quelque chose d'universel et d'indémodable. » Elle va directement au coeur. Au-delà de cette histoire tragique d'exilés en mode reconstruction, c'est la rencontre d'êtres humains qui cherchent un véritable contact. Ce besoin viscéral d'être en relation sincère avec l'autre. D'aimer et d'être aimé.

Crédit photo: Nicola-Frank Vachon
Le texte génial de Kalinoski et la mise en scène astucieuse d'Amélie Bergeron offrent des moments touchants et d'une tendresse infinie. Il fallait entendre les silences dans la salle tout le long de cette magnifique pièce. Rarement ai-je entendu une salle aussi silencieuse et à l'écoute. Les larmes perlaient, les souffles étaient coupés, l'atteinte au coeur totale.

Le succès de cette pièce ne serait pas possible sans les performances inoubliables de Mustapha Aramis (Aram) et Ariane Bellavance-Fafard (Seta). La scène de la franchise vaut à elle seule le déplacement. Moment le plus touchant et humain d'Une bête sur la lune.

Ariane Bellavance-Fafard réussit une superbe métamorphose passant d'une adolescente volubile mais apeurée, souriante et soumise à une femme affirmée et décidée à connaître le bonheur. Mustapha Aramis a le ton juste se promenant allègrement entre l'homme taciturne et refermé sur lui-même et le maladroit qui ouvre des portes à un amour qu'il tente d'enfouir au plus profond de lui-même parce qu'il n'est pas conforme au plan prévu.

Ce duo de choc, espérons qu'ils reviendront régulièrement sur les planches des théâtres de Québec, est bien supporté par une Rosalie Daoust d'un naturel désarmant dans le rôle d'un jeune garçon et un Jack Robitaille, solide comme toujours.

Photo de famille
Le spectacle se conclue sur une scène d'une très grande simplicité. Ne retenez que ceci: la photo de famille constitue une icône centrale de cette pièce. Elle reviendra donc hanter Aram... ou peut-être pas!

Crédit photo: Nicola-Frank Vachon
Une bête sur la lune est à voir absolument. On en ressort chambouler mais pour le mieux. Un spectacle qui nous rassure sur la nature humaine. Une lueur d'espoir dans ce monde qui manque, trop souvent, d'humanité.

Allez-y surtout si vous aimez: les thèmes traités avec délicatesse, les pièces qui vont droit au coeur, les spectacles qui marquent, les chants d'espoir, découvrir des nouveaux talents.

À La Bordée jusqu'au 24 mars. 
Avec Mustapha Aramis, Ariane Bellavance-Fafard, Rosalie Daoust et Jack Robitaille. Un texte de Richard Kalinoski dans une traduction de Daniel Loayza et une adaptation d'Amélie Bergeron. Une mise en scène d'Amélie Bergeron.

Bon théâtre et bonne danse!

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