jeudi 24 mai 2018

Dans la solitude des champs de coton: incandescentes solitudes

Un face-à-face qui oppose deux hommes qui parlent de leur solitude à mots couverts. Par des détours qui permettent de mieux se comprendre et d'être moins seul.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Angelo Barsetti
Synopsis (tiré du site du Carrefour international de théâtre)
Par un hasard furtif, sans pouvoir s’éviter, deux hommes se croisent au détour d’un lieu sombre, sorte de no man’s land qui pourrait être tant un terrain vague qu’une ruelle déserte. L’un se dit dealer, l’autre est donc client. Ils cherchent à faire une transaction dont l’objet demeure obscur. Comme des ennemis, mais aussi comme des frères, les protagonistes se défient. Ils se parlent sans se comprendre. Une lutte de pouvoir s’installe entre eux, les faisant inévitablement basculer dans la douleur, l’affrontement, la violence.

Ils se lancent alors dans une joute verbale et physique sans pitié, où la parole et les corps se provoquent, s’entrechoquent, s’esquivent, se repoussent et s’étreignent. Au cœur de leur duel sulfureux, pulsions de vie et de mort se confondent. Ils semblent possédés par un désir fauve qui n’arrive jamais à s’exprimer clairement. Et s’il était question de la marchandisation de ce désir? Si leur appétit charnel mutuel était justement l’objet de leur transaction?

Crédit photo: Jean-François Hétu
Incandescentes solitudes
Deux hommes se rencontrent. Se croisent. Ils s'affrontent. Puis se réfugient dans le silence de leur propre solitude. S'affrontent à nouveau. Avec douceur ou avec violence. Mais toujours dans un combat bien loin de la douceur du coton. Deux solitudes qui se consument l'une l'autre. De leur affrontement jaillit une lumière. Des solitudes qui deviennent incandescentes.

Deux hommes qui se croisent n'ont pas d'autre choix que de se frapper,
avec la violence de l'ennemi ou la douceur de la fraternité.
Et s'ils choisissent à la fin, dans le désert de cette heure d'évoquer ce qui n'est pas là,
du passé ou du rêve, ou du manque,
c'est qu'on ne s'affronte pas directement à trop d'étrangeté.
Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton

Est-ce que c'est vrai qu'on est seul?
Brigitte Haentjens parlait d'un «texte totalement hanté par une révolte contre la mort», Koltès était malade au moment de l'écriture de la pièce, et il y a beaucoup de ça dans cette oeuvre. Une espèce de hargne pour ne pas finir seul au moment du trépas. Les deux hommes se battent avec l'énergie du désespoir comme s'il n'y avait pas de lendemain. Ils sont dans une arène, le public est en bi-frontal, et la combat pourrait bien faire un mort... ou deux.

La question de fond, comme le soulignait Hugues Frenette dans une interview: est-ce que c’est vrai qu’on est seul? Deux solitudes indissociables, à la fois similaires, même habillement, même langage, physiques qui se ressemblent, mais différents et qui se cherchent. Ils ont de la difficulté à entrer en communication. Le contact se fait. Puis se brise. Ils se parlent sans véritablement se parler. Sont-ils seuls?  Ou pas?

Soyons deux zéros bien ronds, impénétrables l’un à l’autre.
Le Client

Crédit photo: Jean-François Hétu
Des gestes, du rythme, de la respiration
C'est à deux soliloques auquel le public est convié. Les protagonistes se battent à coups de mots. Une longue diatribe suivie d'un silence alors que l'adversaire se lance à son tour dans un discours-fleuve. Si les mots sont importants, tout se passe dans les gestes, le rythme et la respiration.

Dans ce spectacle qui débute par le choc, au sens premier du terme, de la rencontre, et se termine par une explosion des corps tout est dit et sentit. Les gestes sont calculés, placés, décortiqués. L'amour, le sexe, le désir, la haine tout les sujets sont abordés.

Je  ne  suis  pas  là  pour  donner  du  plaisir,  mais  pour  combler  l’abîme  du  désir, 
rappeler  le  désir,  obliger  le  désir  à  avoir  un  nom.
Et  parce  que  je  vois  le  vôtre  apparaître  comme  de  la  salive  au  coin  de  vos  lèvres 
que  vos  lèvres  ravalent,  j’attendrai  qu’il  coule  le  long  de  votre  menton 
ou  que  vous  le  crachiez  avant  de  vous  tendre  un  mouchoir,
parce  que  si  je  vous  le  tendais  trop  tôt,  je  sais  que  vous  me  le  refuseriez, 
et  c’est  une  souffrance  que  je  ne  veux  point  souffrir.
Le Dealer au Client

Crédit photo: Jean-François Hétu
Allez-y surtout si vous aimez: les performances d'acteurs, la poésie koltésienne, la force des mots, les mises en scène de Brigitte Haentjens.

À la Caserne Dalhousie dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec jusqu'au 27 mai. Avec Hugues Frenette et Sébastien Ricard. Un texte de Bernard-Marie Koltès. Une mise en scène de Brigitte Haentjens.

Bon théâtre et bonne danse!

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