mercredi 24 janvier 2018

Made in Beautiful (La belle province): la fin des exils?

Le Théâtre Kata propose une oeuvre frondeuse et aux apparences souverainistes. Une succession de tableaux déjantés qui plaira aux jeunes comme aux moins jeunes.

Une critique de Robert Boisclair


Halloween et souveraineté
Halloween 1995, soirée sandwichs pas d’croûte, pâté chinois et gâteau McCain. Autour d’une grande tablée, Linda, dans la cinquantaine fringante, reçoit ses meilleurs amis et sa famille pour une fête costumée. L’ancien amant qui a viré gai, déguisé en geisha, côtoie une grande échalote déguisée en Sriracha ; le chum de la matante, attriqué en poussin, niaise la copie ratée de E.T. pis Agathe, comme pas une, se garnit la face de Nutella pour ressembler à Halle Berry dans Catwoman.

Dans une succession de tableaux à la fois absurdes et déjantés, on trouve les protagonistes en train de débattre sur la question de l’immigration, du féminisme pis de la mise en plis de Cynthia. Après deux ou trois verres de rhum and Coke, on se met à jouer à un jeu questionnaire sur l’histoire de notre province… et tout le monde perd. Soudainement, le mutisme, l’ignorance, le manque d’éducation, la faillite de la rhétorique s’emparent de nous…

« On n'attendra pas quinze ans, cette fois-là », disait, ce soir-là, Jacques Parizeau. La mondialisation, le pouvoir d’achat et les technologies nous écartent-ils progressivement d’un grand rêve collectif? Le capitalisme nous rend-il uniformes, individualistes et ignorants?

Théâtre Kata mord avec un brin d’acidité, mais avec beaucoup d’humour, dans les mœurs et coutumes de notre peuple par une création hybride conjuguant l’improvisation, la performance alimentaire et le karaoké, mêlant nos désirs inassouvis et ceux qui grondent.

Fougueuse jeunesse
La mise en scène éclatée mets bien en évidence la fougue et la douce folie de la jeunesse. Le trash y côtoie le traditionnel de splendide manière. Quelques numéros musicaux permettent de faire des transitions en douceur entre une série de vignettes halloweenesques où les membres d'une même famille partagent leurs joies, leurs peines, leurs déceptions et leurs interrogations.

C'est peut-être là que le bât blesse. Dans les interrogations. Si le spectacle permet de faire un agréable voyage de 1995 à aujourd'hui, les questions soulevées demeurent sans réponse. Dans le programme, le metteur en scène se questionne sur les désirs inassouvis et sur ce qui gronde. Il donne comme réponse qu'il cherche et que c'est encore flou. Et c'est justement un peu ça cette pièce. Le survol des événements est intéressant. Il donne une belle image de notre passé. Mais qu'en est-il aujourd'hui? Que pense cette fougueuse jeunesse? Que veut-elle comme société? Les fuites en avant et les exils achèvent-ils? Il n'y a pas de réponse suggérée. Un beau parcours qui finit en cul-de-sac et qui laisse sur son appétit.

Made in Beautiful (La belle province) est profondément ancré dans son époque. Les anglicismes, caractéristiques de la jeune génération, pullulent, l'esprit est à la fête, le discours est parfois bien superficiel et puéril et les problèmes soulevés sont rapidement évacués.

On s'amuse ferme à l'écoute de certaines répliques punchées ou vides de sens. Le ballet des répliques et des scènes est fort bien rythmé mais donne parfois dans l'excès. Les discussions s'apparentent alors à des joutes verbales qui donnent du fil à retordre aux spectateurs.

Les comédiens offrent tous de belles performances. Ariel Charest, avec son humour pince-sans-rire, et Marie-Josée Bastien, solide et magnifique dans son rôle de femme qui souffre d'Alzheimer, se démarquent particulièrement.

Joli portrait
Made in Beautiful (La belle province) dresse un portrait drôle, sympathique et fort réaliste des 22 dernières années. S'y ajoute une touche caricatural dans les costumes, entre autres, qui rend le tout fort agréable. En bout de course Olivier Arteau et sa joyeuse bande de lurons offrent un spectacle qui captive son auditoire.

Allez-y surtout si vous aimez: le théâtre Kata, les spectacles complètement déjantés, les productions frondeuses, les oeuvres aux tendances souverainistes.

À Premier acte jusqu'au 3 février. Avec Léa Aubin, Marie-Josée Bastien, David Bouchard, Ariel Charest, Gabriel Cloutier Tremblay, Jonathan Gagnon, Lucie M. Constantineau, Marc-antoine Marceau, Vincent roy et Nathalie Séguin. Un texte et une mise en scène d'Olivier Arteau.

Vous voulez en savoir plus? Écoutez notre interview avec Olivier Arteau et Lucie M. Constantineau ici (au début de l'émission du 15 janvier).

Bon théâtre et bonne danse!

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