mercredi 6 juin 2018

Cold Blood: théâtre bonheur

Cold Blood est un divertissement ingénieux qui émerveille. Une féérie en forme d'hommage aux techniciens qui habituellement travaillent dans l'ombre. Un spectacle bonheur qui transforme les derniers moments sur terre en ode à la vie d'une brillante façon.

Une critique de Robert Boisclair

Crédit photo: Julien Lambert
Synopsis (tiré du site du Carrefour international de théâtre de Québec)
Portés par l’extraordinaire succès qu’a connu leur précédente création, Kiss & Cry, la chorégraphe Michèle Anne De Mey et le cinéaste Jaco Van Dormael récidivent. Ils déploient à nouveau leur ingénieux dispositif à la fois scénique et cinématographique et leur émouvante nanodanse pour créer un film en direct sous les yeux des spectateurs. Sur scène, un impressionnant plateau de tournage s’active. Les caméras s’agitent, les décors miniatures s’animent, les mains virtuoses s’élancent et s’enlacent, une voix raconte. Sept récits, sept personnages et autant de morts différentes. Des morts drôles, absurdes, silencieuses; des morts érotiques, nocturnes, inattendues.

Cold Blood entraîne dans l’envers du décor et révèle les mécanismes qui font la magie du cinéma. De prouesses techniques en inventions visuelles, artistes et techniciens, à la vue du public, construisent ce film unique et éphémère. Emporté dans un jeu de rapport d’échelle fascinant, l’œil passe du micro au macro : il vogue des corps entiers aux gestes lilliputiens, des maquettes aux hors-champs, du plateau à l’écran.

Une forêt dans le brouillard, une chambre d’enfant, une ville en feu, un cinéparc, un avion jouet, une salle de bal en verre… toute une panoplie d’objets, de paysages minuscules et d’environnements en format réduit accueillent les doigts qui cabriolent, bondissent, puis s’évanouissent…

Si la pièce parle de la mort, c’est pour embrasser la vie, car il s’agit bien d’une fête, lumineuse et tendre, une ode aux souvenirs et aux sens, à l’amour et aux plaisirs. Le théâtre se trouve transcendé et le public, immédiatement replongé dans l’émerveillement de l’enfance.

Une après-midi qui sentait la vanille
Si on ne vit qu'une seule fois, on peut danser ses morts en doigt de deux. Des morts, il y en aura sept. Toutes plus surprenantes les unes que les autres. Présenté comme un rêve, on nous fait le coup de la séance d'hypnose, on assiste à sept morts où on interroge les voies impénétrables des derniers instants de vie. Et ils ne sont pas exactement comme on se les imagine.

Vous aviez cru qu'au moment de mourir
on voit défiler toute sa vie.
Mais ça ne se passe pas comme ça.
Il ne reste qu'une seule image, inattendue.
Tout le reste a disparu.
Pour vous, ce n'est pas le jour de votre mariage,
ni cette médaille gagnées au hockey.
Pour vous, c'est la douceur d'une peau,
une après-midi qui sentait la vanille...
Thomas Gunzig

Chaque mort proposée est surprenante et... vivifiante. La mort s'enrobe de toutes sortes de tableaux liés par des fondus-enchaînés. Il n'y a pas de nécessairement de liens véritables entre chacun de ces panoramas mais ils sont tous d'une très grande beauté et d'une poésie qui tient à la fois de la lenteur et d'un imaginaire fou. On se prend à sourire de ces derniers moments de vie tant ils sont étonnants.

C'est à un véritable théâtre bonheur auquel nous convie la joyeuse bande de créateurs de ce spectacle. Comme quoi la mort peut prendre un tout autre sens et se faire enchantement et allégresse. Le spectateur quitte la salle le coeur léger et avec l'envie folle de profiter à plein de la vie.

Crédit photo: Julien Lambert
Une nanodanse qui séduit
Ce spectacle en miniature s'offre en grande lucarne. Les pas de deux développés avec les doigts, qui deviennent des doigts de deux, sont filmés et projetés sur grand écran. L'aventure est double pour le spectateur qui voit à la fois la prestation en miniature qui s'exécute juste en dessous de l'écran qui recrache l'action en direct.

Tout cela exige une très grande dextérité des comédiens/danseurs/manipulateurs qui doivent unir, selon un canevas précis, des histoires qui se déroulent dans des lieux miniatures forts différents les uns des autres. Sans oublier les fondus-enchaînés qui demandent une précision d'horloger. Et la nonodanse, cette danse des doigts, qui forcent les comédiens à exécuter quelques contorsions pour exécuter les mouvements dans un décor miniature alors que les caméras tournent. De sublimes chorégraphies qui éblouissent à chaque fois.

L'effet est multiplié par une trame sonore enrobante au registre varié et subtil. L'atmosphère créé par la musique se fait mystérieuse ou décuple l'émotion. Combiné à un texte savoureux, la musique magnifie ces sept rencontres avec la mort. Little Girl Blue interprétée par Nina Simone puis par Janis Joplin ou encore Le Boléro de Ravel figurent parmi les moments les plus prenants, musicalement parlant, du spectacle.

Crédit photo: Julien Lambert
Allez-y surtout si vous aimez: l'imaginaire poétique, l'ingéniosité qui émerveille, le très petit qui s'éclate sur grand écran, le théâtre bonheur.

Au Grand Théâtre de Québec dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec jusqu'au 8 juin. Une création collective de Gregory Grosjean, Thomas Gunzig, Julien Lambert, Sylvie Olivé et Nicolas Olivier. Avec Harry Cleven, Benjamin Dandoy, Michèle Anne De Mey, Pierre De Wurstemberger, Ivan Fox, Gregory Grosjean, Yann Hoogstoel, Julien Lambert et Stefano Serra. Une mise en scène de Jaco Van Dormael et Michèle Anne de Mey.

Bon théâtre et bonne danse!

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