vendredi 22 septembre 2023

Tendre regard sur notre passé (Critique: Pour la suite du monde)

 De jeunes artistes qui s'intéressent à un film de 1962, à la pêche au marsouin et à notre parlure d'autrefois, est-ce possible? La réponse est oui et cela risque de générer une grande fierté et un spectacle qui vaut le détour.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

En répétition. Crédit photo: Vincent Champoux

La pièce en quelques mots
Pour la suite du monde est le premier long métrage canadien projeté au Festival de Cannes en compétition officielle. C’est le premier film québécois de l’histoire à être classé comme un chef-d’œuvre. En 2017, il est désigné «évènement historique» par le gouvernement du Québec pour son caractère fondateur.

En 1962, Pierre Perrault a convaincu les habitants de L’Isle-aux-Coudres de reprendre leur traditionnelle «pêche à marsouin» qui était abandonnée depuis quarante ans. Il nous livre ainsi un portrait du Québec canadien-français de l’époque: celui des paysans, des ouvriers, avec leur langue singulière et leur attachement à la nature. Un Québec quasi-disparu mais qui constitue l’un des socles de notre société et de notre culture commune.

Après les succès de leurs adaptations en théâtre d’objets de grands classiques du cinéma comme Rashomon et Citoyen K, La Trâlée s’empare pour la première fois d’un grand plateau pour faire exploser son inventivité et sa poésie.

Le spectacle est librement inspiré du film Pour la suite du monde de Pierre Perrault, Michel Brault et Marcel Carrière, produit par l’Office national du film du Canada en 1962.


Tendre regard sur notre passé
Pour la suite du monde débute avec un charmant prologue. Réminiscence d’un passé pas si lointain, une parade d’accessoires ouvre le bal. Parade? Plutôt, entrée en scène de «comédiens» inanimés qui prendront vie durant le spectacle. Plus qu'une adaptation cinématographique, Pour la suite du monde est du théâtre où l'humain et l'objet prennent vie.

En répétition. Crédit photo: Vincent Champoux

Avant même que les lumières de la salle s’éteignent et que l’équipe d’accueil lance les avertissements d’usage, les comédiens envahissent la salle et la scène. Ils surgissent de partout, chacun avec un accessoire qu’ils présentent et déposent sur la scène: canne à pêche, jouet d’enfants, poste de radio d’autrefois, rames, vêtements d’époque, téléphone à cadran, harts (morceaux de bois fort utile pour la pêche au marsouin que vous découvrirez pendant le spectacle) et bien d'autres objets. Chaque objet a suscité la réaction de la foule qui, à travers eux, découvrait ou revivaient, l'espace d'un instant, une parcelle de notre histoire.

Les comédiens plantent alors le décor, sans jeu de mots, pour nous présenter le film et nous en offrir des extraits. Ils racontent joliment la genèse de cette aventure hors normes pour l’époque. Ils offrent tout au long du spectacle une reconstitution et une relecture tendre sur notre histoire. Si le film jetait un regard sur une histoire qui s'était terminé dans les années 20, la pêche au marsouin ne se faisait plus à l'époque du film, le spectacle fait la même chose mais cette fois en jetant un coup d'œil sur celle des années 60. Une belle démonstration qu'une société ne peut pas faire abstraction de son passé, peu importe l'époque. Un beau moment qui permet de faire le bilan du chemin parcouru jusqu'à maintenant. Ainsi, les pas arpentés ne seront pas perdus.

En répétition. Crédit photo: Vincent Champoux

Un spectacle mémoire
Il est agréable de voir une distribution composée essentiellement de jeunes artistes offrir un retour vers ce passé de L’Isle-aux-Coudres mais, aussi, du Québec d’hier. Une des grandes qualités de Pour la suite du monde est de faire un retour tout en douceur sur une toute petite partie de notre histoire. Les sept jeunes artistes offre une ode au parler d’autrefois et à nos ancêtres qui ont trimés durs pour bâtir doucement, avec leurs qualités et leurs défauts, un Québec à la hauteur de leurs aspirations. Pour eux et pour les générations futures.

Le dénouement offre quelques moments très touchants. Les images magnifiques de marsouins nageant et, surtout, cette finale où des descendants des protagonistes du film et des résidants actuels de L’Isle-aux-Coudres reprennent des répliques du film et de la pièce. Ils célèbrent également la mi-carême, fête maintenant oubliée qui était célébrée à l’époque du film, et qui était une merveilleuse occasion de se retrouver et de fêter. Merci à Lorraine Côté et à l'équipe du spectacle de proposer sa suite du monde, d'offrir son legs aux générations futures. Pour la suite du monde est une sorte de passer au suivant générationnel. Une transmission des traditions afin qu’elles ne soient pas complètement oubliées. 

À hauteur d'hommes
Le spectacle se déroule sur une scène éventrée, une intéressante idée qui malheureusement limite parfois le jeu des comédiens. Si l’action est ramenée à hauteur d’hommes par cette transformation, l’espace restreint qu'elle crée confine l’interprétation à des manipulations qui nuisent à l’expression des émotions. Le jeu des comédiens est alors froid, voire fade. Une meilleure utilisation de cet espace aurait permis une plus forte identification à des personnages typées, sympathiques et expressifs.

En répétition. Crédit photo: Vincent Champoux

Il y a quelques longueurs dans ce spectacle. Parfois le discours se prolonge ou se double, émoussant quelque peu l'intérêt. Tout ça est compensé par une des grandes qualités de ce spectacle soit la douceur, la tendresse, le respect et le regard bienveillant envers nos ancêtres. Ces hommes qui effectuaient avec amour un retour à la pêche au marsouin, au béluga dirions-nous aujourd'hui.

Une histoire de chez nous
Les équipes de La Trâlée et de La Bordée reprennent la consécration sacrale de la tradition et le culte des ancêtres du film de belles manières: les personnages sont incarnées par des costumes superposés plutôt que portées par les comédiens, les personnages sont très souvent sans tête et presque toujours casqués ou chapeautés, les soulignements sont nombreux aux désirs profondément ancrés de laisser des traces et de léguer un passé aux générations suivantes.

Le film est tourné à l’aube de la révolution tranquille, une grande période de transformations qui bousculait les certitudes de l’époque. S'il porte un regard sur le passé, il n'est pas que nostalgique, il est à sa manière une forme de plaidoyer en faveur d'un monde meilleur mais dont il ne faut certainement pas oublier le passé. C'est une sorte de passage en douceur d'une génération à l'autre. Une sorte de signal qui dit nous avons été là, nous avons bâti un monde meilleur. Ne l'oubliez pas, mais construisez le vôtre à partir des traces que nous vous laissons. 

La société d’aujourd’hui aurait tout intérêt d'en tirer des leçons, elle qui vit de nouveaux chambardements, transformations essentielles, mais qui en inquiètent ou questionnent plusieurs. Pour la suite du monde, dans version théâtrale tout comme dans sa version cinématographique, n’est-il pas un plaidoyer en faveur d'un monde meilleur, inspiré d'une histoire riche que l’on ne doit pas oublier et qui pourrait inspirer la façon dont la transformation nécessaire s'effectuera?

En répétition. Crédit photo: Vincent Champoux

Un souffle de fierté
Une foule bigarrée s’est présentée afin de découvrir Pour la suite du monde dans sa version théâtrale. Alors que l’on aurait pu s’attendre à un auditoire aux cheveux grisonnants, les spectateurs étaient de tous les âges. Un spectacle qui semble avoir séduit la foule comme l’a exprimée une jeune spectatrice à la sortie du spectacle. Pour la suite du monde l’a rendue fière d’être Charlevoisienne. Le critique que je suis ajouterait, d’être Québécois tout simplement.

La mise en scène a été donnée à la vie, ma reprise personnelle d'un extrait de la pièce au sujet du travail de réalisation pour le film, et c’est ce qui se passe aussi avec la version théâtrale. Une mise en scène qui redonne vie à nos ancêtres de belles façons. L’ode et l’hommage transpirent dans chaque geste et mouvement. Dans le texte également. Pour nos ancêtres mais également aux trois hommes qui ont réalisé le film. Les extraits et répliques sont utilisés ou proposés de telles manières que le respect s’y pointe le nez à chaque scène.

Allez-y surtout si vous aimez: L’Isle-aux-Coudres, les spectacles mémoire, découvrir des traditions oubliées, les retours sur notre histoire, la parlure québécoise, les personnages sympathiques.

Jusqu'au 14 octobre à La Bordée. Avec Nicolas Boulanger, Lauréanne Dumoulin, Nadia Girard-Eddahia, Paul Fruteau de Laclos, Amélie Laprise, Jocelyn Paré et Guillaume Pepin. Une adaptation de Lorraine Côté avec la collaboration de Nicola Boulanger. Une mise en scène de Lorraine Côté.

En répétition. Crédit photo: Vincent Champoux

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