mercredi 23 août 2023

Sublime Guylaine! (Critique: Les étés souterrains)

 Une comédienne au sommet de son art, une performance éblouissante et un spectacle qui marque les esprits par son infinie tendresse. Les étés souterrains à La Bordée, c'est cela et bien plus.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Crédit photo: Suzane O'Neill

Un solo pour Guylaine
Elle enseigne la littérature à Montréal et passe ses étés à la campagne dans le Sud de la France où elle retrouve, année après année, ses amis et son amour de vacances. Intransigeante, elle aime débattre, questionner l’ordre établi et se rendre utile en paroles et en actes, sans rendre de comptes à personne. Jusqu’à ce que la vie vienne ébranler son corps et, par le fait même, ses convictions les plus profondes.

on bâtit avec la parole mon chéri
on bâtit pas juste avec les mains
on bâtit surtout pas juste avec les mains
on bâtit avec la parole
je fais pas juste parler
je construis
c’est pas du bruit
c’est de l’architecture
c’est de la charpenterie
Extrait de la pièce Les étés souterrains

Porté par Guylaine Tremblay, ce poignant solo propose une incursion dans la vie d’une femme qui nous livre sa vision du monde, de l’amour, de la solitude. L’auteur explore les raisons pour lesquelles, au cours d’une existence, notre façon de voir les choses, notre corps ou notre esprit, peuvent se transformer au gré des épreuves. Que faire lorsque tout ce qu’il nous reste est la mémoire?


Consultez ce lien pour en savoir encore plus sur ce brillant spectacle.

Des oranges et des fleurs
Il y a d'abord ces pelures d’orange qu'éparpille la narratrice tout au long du spectacle. À la manière du pain semé par le Petit Poucet de Charles Perreault, les pelures sont une allégorie de cette vie, celle de la protagoniste, qui s’effrite peu à peu. Chaque espace entre les épluchures d'orange représentent les moments d’égarements qui s’insinuent dans une vie meublée d’étés en Provence. Doux moments que cette femme apprécie et qui sont ses étés qu’elle affectionne et décrit comme des étés souterrains.

Sa vie bascule et passe. Tout ça se déroule devant nous doucement, par petites touches sensibles. Cette vie qui se déglingue est celle d’une femme qui contrôle tout à celle d'une grande et inévitable vulnérabilité ou plus rien ne peut être contrôlé. Steve Gagnon le soulignait d'ailleurs dans une entrevue qu'il accordait au Devoir. Ce sont deux solitudes qui se rencontrent et s’interpellent, celle qu’on choisit, et le soliloque le démontre très bien, et celle qui nous est imposée par la vie, une fragilité et une incertitude sur lesquelles elle n’a aucun contrôle.

Crédit photo: Télé-Québec

Un bouquet de fleurs trône d’un côté de la scène. Bouquet que la narratrice déplacera vers la droite et le fond de la scène. Symbole cette fois d'un voyage vers une fin appréhendée mais pour lequel on apporte un objet qui nous permet de se remémorer les souvenirs de sa vie d'autrefois. Elle qui aimait s'enivrer de l'odeur des fleurs, l'apporte avec elle afin de ne pas totalement oublier ce qu'elle aimait de sa vie.

Le dénouement où l'on voit cette femme écrasée par la maladie, dans une chaise roulante et tout à côté de ses fleurs pendant que la narratrice ouvre son cœur en gros plan et avec des mots difficiles à prononcer est une scène douloureuse et, en même temps, d'une infinie tendresse. Un magnifique et un grand moment de théâtre. Chapeau au trio Gagnon/Patenaude/Tremblay.

Merveilleuse soirée
Il y a dans cette production, une adéquation totale entre le texte superbe de Steve Gagnon, la mise en scène douce et intime d'Édith Patenaude et l’incroyable performance de Guylaine Tremblay qui est, en soi, une magistrale leçon de jeu. L’art prend tout son sens ici.

Il y a dans les mises en scènes d’Édith Patenaude un doux équilibre entre la douceur, la vigueur et un juste rythme qui bercent la performance des acteurs. C’est la signature Patenaude et elle est bien présente ici. Steve Gagnon a pondu un texte qui mets en valeur le talent de Guylaine Tremblay. C’est un texte drôle, vivant, bien ficelé et qui frappe juste.

Des projections vidéos en fond de scène permettent, à plusieurs reprises, des gros plans. Ce sont de véritables plongées au cœur même de l’âme et des pensées profondes de la protagoniste. Le spectacle est enrobé d'environnements sonore et lumineux qui soutiennent magnifiquement le texte et la performance.

Crédit photo: Suzane O'Neill

Guylaine Tremblay offre toute une performance dans ce solo qui lui sied à merveille. Les quatre rappels de la première du 22 août en sont la démonstration éclatante. Elle est à l’aise et au sommet de son art dans cette production. Les mots me manquent pour souligner la qualité de son travail dans ce spectacle où la sensibilité prime. Disons tout de même qu’elle passe magnifiquement bien d’un torrent d’émotions à une femme fragile au point de rupture.

Une production à ne rater sous aucun prétexte car des spectacles de cette qualité, il n’y en a pas deux dans une vie.

Allez-y surtout si vous aimez: les spectacles empreint d’émotions, les performances à couper le souffle, une actrice qui se transforme littéralement sur scène, les pièces qui célèbrent la parole.

Jusqu'au 2 septembre à La Bordée. Avec Guylaine Tremblay. Un texte de Steve Gagnon. Une mise en scène d'Édith Patenaude.

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