mercredi 22 septembre 2021

Renversé à l'ananas: parole féministe ou hommage à nos mères?

Catherine Côté présente son texte comme une parole féministe mais, surtout, comme un hommage à celles qui nous ont nourris. Je dirais que c'est un vibrant hommage à nos mères et nos grand-mères.

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Crédit photo: David Mendoza Hélaine

Synopsis (tiré du site web du communiqué de presse du spectacle
Quatre femmes d’une même famille réalisent que leur aïeule est atteinte d’Alzheimer lorsqu’elle oublie la recette de gâteau renversé à l’ananas. Parviendront-elles à la retrouver avant que la mémoire de la matriarche disparaisse avec leur tradition culinaire? Peuvent-elles changer la recette de leur dessert classique? Entre les traditions à redéfinir, les trous de mémoire et les confrontations, les cinq femmes se retrouvent inlassablement en cuisine, aimantées par l’affection mystérieuse d’une famille qu’on ne choisit pas et héritières d’une même passion pour la nourriture.

Deux générations de femmes sont confrontées au legs qu’elles ont reçu et à celui qu’elles désirent transmettre. Peut-on faire honneur à sa mère tout en restant fidèle à soi-même? Est-ce que je peux remplacer la graisse par du beurre dans ma pâte à tarte? Un pouding chômeur, ça se congèle-tu?

Parcours gourmand déjanté, la pièce trace l’histoire de la culture culinaire au Québec en multipliant les clins d’œil aux icônes de la gastronomie québécoise, de Jehane Benoît à Ricardo en passant par sœur Angèle et le Cercle des fermières.

Bienvenue dans l’intimité de la cuisine. Lieu du travail, de l’imperfection et de la vérité. Royaume de nos mères au foyer, dont la contribution silencieuse et sous-estimée mérite d’être reconnue et célébrée.

Avec sa seconde production, la compagnie Mon Père est mort poursuit sa réflexion sur les stéréotypes de genre comme héritage familial en proposant une création qui aborde les enjeux féministes ainsi que les relations mère-fille de manière décomplexée et avec une bonne dose de sucre.

Des Belles-Soeurs à La petite vie, il est temps d’actualiser l’image des femmes en cuisine. Une parole féministe bien évidemment, mais surtout un hommage à celles qui nous ont nourris. Même si l’îlot a remplacé le poêle, le party a toujours lieu dans la cuisine.

MARYSE: T’as raison, Charlot : j’te connais pas! Temps. J’ai l’impression d’avoir raté,
comme ma mère m’a ratée.

CHARLOTTE: Dis pas ça, là!

MARYSE: Je veux pas être comme ma mère.

CHARLOTTE: Moi non plus.

MARYSE: Je pense que c’est mal parti.

CHARLOTTE: Très.

Crédit photo: David Mendoza Hélaine
Un vibrant hommage à nos mères
Parole féministe ou hommage à celles qui nous ont nourris? Très certainement, pour moi, un hommage à nos mères et nos grands-mères. Ces femmes courages qui se donnaient corps et âmes, s'oubliant totalement. S'assurant que la tablée soit bien rassasiée. Tout le long de la pièce, je n'ai cessé de penser à ma grand-mère, que nous qualifions d'un affectueux mémère, ce mot dans notre bouche n'avait pas la connotation négative qu'il a aujourd'hui. Bien au contraire. Femme de l'ombre qui se dévouait et qui était toujours là pour chacun de nous. J'ai eu une petite pensée également pour mon arrière-grand-mère, que j'ai connue, mère de 21 enfants et de l'amour qu'elle donnait à chacun d'eux comme à ses arrières-arrières-petits-enfants. 

C'est cette image qui m'a habité pendant l'heure quarante que durait le spectacle. Il y a de l'amour entre ces cinq femmes issues de trois générations. Je me retrouvais dans leur univers, je suis issu d'une famille où les hommes étaient passablement absents, et où les gardiennes du bonheur et de l'unité familiale étaient les femmes. 

Ce spectacle résonne fortement en moi et en chacun de nous. Si le spectacle a une signification toute particulière pour les femmes, il en a une pour les hommes aussi. Vous occupez une place importante dans nos vies et la pièce le démontre avec éloquence. Cette pièce est un hommage à nos mères, nos grands-mères et celles qui les ont précédées. Une dose d'amour. Un doux moment de retrouvailles avec celles qui nous ont façonnés, une retrouvaille pour nous aider à choisir le bon chemin qui nous amènera vers un avenir radieux pour celles et ceux qui suivent.

Crédit photo: David Mendoza Hélaine

Un magnifique quintette
Cinq comédiennes sur scène, une denrée rare, et un texte finement ciselé, malgré un déliement qui étonne, font de ce spectacle une production d'une rare qualité. Les éclairages magnifiques et tout en douceur, la mise en scène dynamique et rythmée, malgré les nombreux noirs, et l'interprétation fort juste des cinq comédiennes font de ce spectacle un petit bijou. Une sorte d'écrin soyeux où il fait bon se lover. 

Il peut être risqué d'être à la fois l'auteure et la metteuse en scène. Ce danger est ici évité. La direction d'actrices, et le jeu des comédiennes bien sûr, soutient magnifiquement le texte, le met en valeur. Les relations sont parfois joyeuses et agréables, parfois difficiles et complexes. Les non-dits, les espoirs déçus sont là bien présents. Mais l'amour est aussi là. Omniprésent  dans la salle d'attente du coeur pour sortir au bon moment.

L'allégorie entre la perte de mémoire de l'aïeule et la transmission d'une génération à l'autre de la mémoire collective féminine est intéressante. Doit-on faire table rase de la tradition pour faire place à une nouvelle féminité? Doit-on en garder certains aspects? Si oui, lesquels? La pièce ne répond pas à cette question mais l'aborder est important et intéressant.

Crédit photo: David Mendoza Hélaine

Allez-y surtout si vous aimez: les performances d'actrices, les textes ciselés, les réflexions sur la transmission entre les générations, les hommages à nos aïeules, la nostalgie.

Jusqu'au 9 octobre à Premier acte. Avec Véronique Aubut, Valérie Boutin, Sylvie Cantin, Linda Laplante et Nathalie Séguin. Un texte et une mise en scène de Catherine Côté.

Bon théâtre, bonne danse et bon cirque!
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