jeudi 24 mars 2022

SIERRANEVADA: physique et hypnotique

 La Rotonde propose à son public un fabuleux SIERRANEVADA où Manuel Roque offre une performance à la fois mécanique, électrique et athlétique. Envoûtement garanti!

Une critique de Robert Boisclair
Twitter: @Rob_Boisclair et @Enfantsparadis

Crédit photo: Marilène Bastien

Synopsis (tiré du communiqué de presse et des sites web de La Rotonde et du FTA)
Dans le but avoué d’explorer la narrativité de la «collapsologie» – champ d’étude multidisciplinaire traitant du potentiel effondrement de nos civilisations post-industrielles –, Manuel Roque témoigne de l’urgence de s’interroger sur le changement de paradigme que nous vivons.

En s’éloignant des clichés apocalyptiques bombardés par les médias de masse, quel monde souhaitons-nous habiter? Quels en sont les contours, les possibles? Comment nous adapter aux changements en cours, tout en demeurant actifs, acteurs de transitions, de transformations positives qui reflètent nos désirs?

Je me suis demandé, comme humain, citoyen et artiste, quel(s) potentiel(s) ou quel(s) changement(s) ma pratique peut-elle déclencher à un niveau local? Quels récits alternatifs peut-elle générer face à l’appréhension de cette catastrophe à venir? Comment décroître en tant qu’artiste? Comment réinventer un monde qui épouse un peu mieux nos aspirations intimes et universelles?
Manuel Roque à Patwhite.com (31 mai 2021)

Naviguant entre contrôle et lâcher-prise, SIERRANEVADA est un exercice, une pratique laboratoire dans laquelle l’interprète-créateur s’efforce à fougueusement explorer les méandres de son imaginaire.

Crédit photo: Marilène Bastien

Le corps inépuisable de Manuel Roque s’agite en de vifs faisceaux incandescents. La combustion énergétique est intense, la sueur s’écoule et laisse place à un corps du futur. L’épuisement des ressources devient une expérience transformatrice, réactivant le dessein de notre humanité courant à sa perte.

Sans autre artifice qu’une ridicule perruque blonde au milieu d’un espace vide, le chorégraphe-danseur intègre cette idée de l’effondrement grâce à une partition-épreuve faite de sauts répétés et d’instants d’introspection.

À travers la catastrophe à venir, il communique les résonances d’un récit alternatif. Notre chute imminente ouvrirait-elle vers d’inattendus potentiels? Après Data et bang bangSIERRANEVADA est le troisième volet d’une réflexion sur l’anthropocène et la condition humaine. Dans l’intimité d’une expérience partagée, l’artiste-collapsologue nous invite à décoloniser nos imaginaires afin de renaître au diapason des tremblements du monde.

(...) je travaille une très grande dépense énergétique au service d’une recherche plus subtile et approfondie de la sensation. Dans une époque où je sens que nous sommes saturés d’informations, j’explore quels types de communication peuvent émerger de la singularité d’une expérience kinesthésique. Même si c’est un format qui peut s’avérer assez hermétique, j’ai l’intuition qu’il y a un potentiel à explorer ici.
Manuel Roque à Patwhite.com (31 mai 2021)

Crédit photo: Marilène Bastien

Physique et hypnotique
Dans une salle plongée dans la pénombre, un homme en noir surgit dans la nuit et rampe jusqu’à un ordinateur où l’intrus contrôlera la boîte magique de l’environnement sonore. Il allume l’ordinateur et le personnage commence à s’agiter dans un univers minimaliste. Il n'y a, outre l'ordinateur, qu'un micro au sol pour meubler la scène. 

Manuel Roque est un coureur de fond de la danse, bien plus qu’un sprinteur. Les mouvements, les gestes sont des transformations infinies à la fois dans le micro et dans le macro mouvement. Ils sont répétitifs. Le corps s’agite. L’homme piétine sur place. Les mouvements sont amples. Obsessifs. À tel point que ma voisine suivait le rythme imprimé par le danseur. Les mouvements créent une sorte d’hypnose chez le spectateur qui ne peut détacher son regard de la performance.

Le spectacle se conclue au même rythme qu’il a débuté, tout en douceur et en lenteur au sol. Comme si le vent de folie qui balayait le spectacle jusqu’à ce moment se calmait laissant la tempête se calmer. Sierra n’évada est une tempête soulignant les effets possibles d’un effondrement. L’accalmie qui précède et suit la tempête est le calme qui précède cet effondrement et le suit.

La beauté de la danse dans sa plus simple expression
Ceux qui me connaissent savent que j’aime entendre le souffle du danseur et le bruit des pas sur le sol. Avec SIERRANEVADA j’ai été bien servi.  Le souffle est d’ailleurs un élément important de la chorégraphie de Manuel Roque. Il l’amplifie et lui fait une grande place. Son souffle devient un rythme, un tempo qui s'impose aux pas du danseur.

Ce SIERRANEVADA, c'est de la danse dans sa plus simple expression. On entend le souffle, le bruit des pas sur le sol. On admire le corps qui s'exprime simplement et librement. Dans la performance physique, et il y en a beaucoup, comme dans la simplicité. Il y a dans cette répétition des gestes et dans la performance de coureur de fond de la danse qu'offre Manuel Roque, une puissance intime. Comme si ce partage n'était qu'une relation entre le danseur et chaque spectateur. Plus rien d'autre n'existe. Que les mouvements hypnotiques et notre relation avec le danseur.

Homme ou machine?
La performance physique est ici poussée très loin, le passé circassien de Manuel Roque y est sûrement pour quelque chose, lui qui a étudié à l’École nationale de cirque de Montréal et fait quelques acrobaties au cirque Eloïze.

À regarder cette performance, le spectateur en vient à se demander si le danseur est un homme ou une machine. Il pousse très loin sa capacité physique. En discussion après le spectacle, le danseur mentionnait qu'il ne poussait pas ses capacités à la limite. Bien difficile de le croire lorsque l'on est dans la salle et qu'on le voit performer longuement dans des mouvements rapides et exigeant physiquement. Peu importe la réponse, on admire la performance et on est subjugué.

L'hypnose généré par la performance hors norme de Manuel Roque crée une sorte de transe chez le spectateur qui l’empêche de détacher son regard de la performance. Il est un homme élastique capable de prendre les poses les plus surprenantes et c’est là cas ici à quelques reprises. On admire la performance et le travail tout autant que l'on s'interroge sur la signification de tous ces sauts et gestes répétés, encore et encore. Mais est-ce si important de se questionner? Profiter du spectacle est ce qui compte le plus après tout, car la performance de Manuel Roque est à la fois athlétique, électrique et mécanique. En véritable coureur de fond, il nous envoûte.

Allez-y surtout si vous aimezles solos, les performances physiques, Manuel Roque, les spectacles à l’esthétique minimaliste, les expériences transformatrices.

Jusqu'au 25 mars à la Maison pour la danse dans le cadre de la saison de La Rotonde. Une chorégraphie, une interprétation et une conception sonore de Manuel Roque. Une cocréation de Marilène Bastien, Sophie Corriveau et Lucie Vigneault.

Les Enfants du paradis est un blogue qui s'intéresse au théâtre, à la danse et au cirque de Québec. Vous y trouverez des critiques, des informations concernant les lancements de programmation ainsi que des nouvelles d'actualité. Un blogue à consulter régulièrement.

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